Imaginez devoir marcher des kilomètres sous un soleil de plomb, un bidon vide à la main, pour trouver une eau saumâtre qui rend vos enfants malades. C’est le quotidien qu’ont enduré pendant plus de trois ans les habitants de Congo ya Sika, ce quartier périphérique de la cité frontalière de Kasindi-Lubiriha, à 90 km de Beni. Aujourd’hui, le son des rires remplace le bruit des seaux : l’eau potable coule enfin aux robinets des premières bornes-fontaines inaugurées fin juillet.
« Ce projet est salutaire pour nos vies ! » lance Paul Zaidi, premier rapporteur de la société civile locale, la voix nouée d’émotion. « Plus de cinq mille familles souffraient chaque jour pour un verre d’eau propre. Certains creusaient désespérément des puits improvisés qui ne donnaient que de l’eau salée. D’autres risquaient leur vie en puisant dans la rivière Lubirigha, polluée et infestée de maladies. » Son témoignage résume le soulagement d’une communauté longtemps abandonnée aux marges du développement.
« Aujourd’hui, l’eau coule enfin dans le quartier Congo ya Sika au profit de milliers de personnes. Nous remercions tous ceux qui ont mené des plaidoyers pour cette victoire. » – Paul Zaidi, Société civile de Kasindi-Lubiriha
Derrière ce miracle quotidien se cache un effort coordonné rare dans cette région du Nord-Kivu. Un consortium de trois ONG spécialistes de l’accès à l’eau en RDC – le Comité international de la Croix-Rouge, Tearfund Mavuno et World Vision – a uni ses forces avec les autorités congolaises pour concevoir ce réseau vital. Au total, vingt bornes-fontaines et des citernes de stockage transformeront radicalement l’hygiène et la sécurité des habitants. Dix points d’eau sont déjà fonctionnels, et l’ensemble du projet d’adduction d’eau potable devrait être finalisé d’ici décembre 2025.
Mais pourquoi ce quartier est-il resté si longtemps sans solution ? La réponse révèle une fracture territoriale criante. Congo ya Sika, bien que stratégiquement situé près de la frontière ougandaise, a toujours été le parent pauvre des infrastructures urbaines. « Jamais nous n’avions bénéficié d’un tel projet », confirme Zaidi, rappelant que les promesses politiques s’évaporaient comme l’eau dans la saison sèche. Les femmes, principales victimes de cette pénurie, consacraient jusqu’à quatre heures par jour à la corvée d’eau, exposées aux violences sur des chemins isolés.
Ce projet hydrique à Kasindi-Lubiriha dépasse largement le cadre technique. Il incarne un enjeu sociétal fondamental : jusqu’où peut-on accepter que des communautés entières vivent sans accès à l’eau, ce droit humain élémentaire ? Dans une région minée par les conflits, où chaque point d’eau devient un enjeu de pouvoir, ces bornes-fontaines représentent aussi des îlots de paix. Les enfants pourront aller à l’école au lieu de chercher de l’eau, les taux de choléra devraient chuter, et les femmes retrouveront des heures précieuses pour des activités génératrices de revenus.
Reste le défi de la pérennité. Les ONG eau en RDC le savent bien : sans implication continue des autorités locales et sans formation des comités de gestion, les fontaines pourraient tomber en ruine. Mais pour l’heure, à Congo ya Sika, on savoure une révolution discrète. Le simple crépitement de l’eau dans un seau propre sonne comme une victoire sur l’oubli – et un modèle pour d’autres zones marginalisées du pays.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
