Le cri de détresse résonne dans les collines verdoyantes du secteur Wanianga. Mutia Shamamba, les mains calleuses posées sur un panier d’ignames déjà tachées, regarde son champ avec amertume : « Nous vivons dans nos champs, mais notre abondance devient notre malédiction. Tout pourrit ici parce qu’on ne peut rien évacuer. » Comme lui, des centaines d’agriculteurs de l’axe Mera-Lukaraba, dans l’espace Waloa 3 du territoire de Walikale, assistent impuissants à la décomposition de leurs récoltes. Une situation qui illustre cruellement l’isolement agricole du Nord-Kivu.
Cette zone pourtant fertile, spécialisée dans les vivres, l’huile de palme et la pisciculture, paie le prix fort de son enclavement. Sans route agricole praticable, les denrées s’entassent dans les villages sans trouver preneur. « Personne ne peut acheter l’excédent de son voisin puisque tout le monde produit la même chose », explique Shamamba, porte-parole des cultivateurs locaux. Les pertes sont colossales : des tonnes de manioc, bananes plantains et poissons d’élevage finissent en compost, transformant la sueur des paysans en pertes de récoltes en RDC.
« L’État contribue à notre misère. Nous payons des taxes au marché, mais en retour ? Rien ! Nos appels restent sans réponse depuis des années. Jusqu’à quand devrons-nous subir cette injustice ? »
Ce constat amer cache une ironie tragique : pendant que ces pertes de récoltes en RDC s’accumulent, Kinshasa et Goma connaissent des pénuries alimentaires. Les agriculteurs dénoncent l’inaction des autorités provinciales et nationales malgré leurs multiples alertes. Pourtant, la solution semble à portée de main : ils réclament l’ouverture d’une déserte agricole RN3 de 75 km reliant Mera à Hombo via Bagira et Lukaraba. Ce tracé stratégique désenclaverait 12 localités et créerait un corridor vers la route nationale 3.
L’absence de cette artère vitale perpétue un cercle vicieux. Sans débouchés commerciaux, les paysans renoncent à augmenter leur production, aggravant la crise agricole Walikale. Les taxes perçues sur leurs maigres ventes ne sont pas réinvesties dans les infrastructures, creusant la défiance envers l’État. « Comment espérer lutter contre l’insécurité alimentaire quand ceux qui nourrissent le pays sont abandonnés ? », s’interroge un agronome local sous couvert d’anonymat.
Derrière cette crise agricole Walikale, c’est tout un modèle de développement rural qui est en jeu. L’enclavement des zones productives du Nord-Kivu sape les efforts de diversification économique et maintient les communautés dans une précarité humiliante. Alors que le gouvernement promet depuis des années de désenclaver l’arrière-pays, le calvaire des agriculteurs de Wanianga pose une question fondamentale : la RDC peut-elle réellement atteindre l’autosuffisance alimentaire sans briser les chaînes de l’isolement agricole Nord-Kivu ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd