Les monticules d’ordures étouffent les artères de Kinshasa, transformant certains quartiers en paysages de désolation. « Nous vivons au milieu des rats et des odeurs nauséabondes », témoigne Joséphine, mère de trois enfants dans la commune de Limete. Son constat amer résume l’échec cuisant du programme Kinshasa Bopeto, lancé en grande pompe il y a cinq ans par le président Félix-Antoine Tshisekedi. Vendredi dernier, lors du Conseil des ministres, le chef de l’État a tiré la sonnette d’alarme face à cette crise environnementale qui souille la dignité de la capitale congolaise.
« Conscient de l’importance d’un cadre de vie sain pour la santé et la dignité de nos concitoyens », Tshisekedi a rappelé l’ambition initiale de Kinshasa Bopeto : faire de l’assainissement de Kinshasa un modèle national. Pourtant, les défis restent « immenses », forçant le président à exiger des « mesures drastiques ». Comment une capitale peut-elle sombrer dans une telle insalubrité malgré les promesses répétées ? La réponse se niche peut-être dans l’historique des échecs successifs.
L’opération « Coup de poing » du gouverneur Daniel Bumba Lubaki, tout comme les initiatives passées « Kin-propre » ou « Salongo », ont toutes échoué à enrayer la marée d’immondices. Plus révélateur encore, l’échec du Projet d’appui à la réhabilitation et l’assainissement urbain (PARAU), financé par l’Union européenne. Pendant huit ans, ce programme évacuait 9 000 tonnes de déchets hebdomadaires grâce à des stations de transfert et un centre d’enfouissement technique. Mais après son arrêt en 2015, la reprise par les autorités locales a tourné au fiasco. Véhicules en panne par manque de carburant, travailleurs impayés, décharges publiques saturées : les ordures ont envahi les rues, créant une crise sanitaire sans précédent.
Face à cette urgence, Tshisekedi lance un triple plan d’action. D’abord, responsabiliser les bourgmestres et chefs d’avenues pour imposer une discipline de propreté locale. Ensuite, redynamiser la brigade de salubrité en lui donnant moyens humains et pouvoir coercitif. Enfin, créer une unité spéciale pour évacuer les épaves de véhicules qui encombrent les artères. « Un rapport circonstancié devra être présenté sous 7 jours », a-t-il exigé, confiant cette mission au ministre délégué à la Politique de la ville. Cette approche multisectorielle, coordonnée par le vice-Premier ministre de l’Intérieur, marque-t-elle enfin une prise de conscience collective ?
Le président insiste : cette bataille n’est pas que l’affaire du gouvernement. Elle nécessite un « sursaut d’orgueil » impliquant dirigeants et citoyens. Car derrière les ordures qui s’amoncellent, c’est la santé publique qui se dégrade. Les enfants jouent près des eaux stagnantes, les marchés côtoient les dépotoirs sauvages, et les épidémies guettent. L’assainissement en RDC n’est pas un luxe, mais une condition sine qua non de la dignité humaine. Quand les déchets débordent sur les routes asphaltées, comme à certains carrefours de Ngaba ou Matete, c’est l’image même de la nation qui se fissure.
Kinshasa peut-elle encore devenir cette « ville propre, vivable et digne » promise par Tshisekedi ? La réponse dépendra de l’application réelle des mesures annoncées. Les Kinois, eux, attendent de voir les premiers camions de ramassage revenir dans leurs quartiers. Car après des décennies de projets avortés et de rapports enterrés, la crédibilité des autorités se joue désormais au pied des montagnes d’ordures. L’enjeu dépasse la simple propreté : il touche à la confiance entre l’État et une population exaspérée par les ordures comme par les promesses non tenues.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
