Par un mercredi lourd de tensions politiques, Kananga s’est transformée en épicentre d’une protestation inédite. Forces sociales et politiques, unies dans un front commun, ont bravé l’interdiction municipale pour organiser une marche pacifique dénonçant ce qu’elles qualifient d’« ingérence illégitime » du vice-Premier Ministre de l’Intérieur dans la crise de l’assemblée provinciale du Kasaï-Central. Cette mobilisation citoyenne, rassemblant des centaines de personnes, jette une lumière crue sur une manœuvre institutionnelle aux relents de putsch parlementaire.
Au cœur de la colère populaire : la destitution controversée des membres du bureau de l’assemblée provinciale par seulement 16 députés sur les 32 que compte l’institution. Une décision jugée anticonstitutionnelle, violant ouvertement le règlement intérieur exigeant un quorum de 18 élus pour toute délibération valide. Comment une telle forfaiture a-t-elle pu obtenir l’aval du ministère de l’Intérieur ? La question, lancinante, plane sur les artères de la capitale provinciale où les manifestants brandissent des pancartes dénonçant un « coup de force » orchestré depuis Kinshasa.
Dans un mémorandum adressé au Président de la République et lu devant le gouverneur intérimaire, les organisateurs ont fustigé avec une ironie mordante : « Cette décision impopulaire, qui bafoue la volonté de la majorité et la stabilité institutionnelle, est d’autant plus préoccupante qu’elle semble bénéficier du soutien du ministre de l’Intérieur ». Un soutien perçu comme un encouragement dangereux à la fragmentation démocratique dans une région meurtrie. Les manifestants rappellent, non sans amertume, les cycles d’instabilité qui ont secoué le Kasaï-Central depuis 2007, des cendres encore chaudes des milices Kamwina Nsapu.
L’ingérence du ministre de l’Intérieur dans les affaires provinciales constitue un précédent inquiétant. En cautionnant une motion adoptée en deçà du quorum légal, le gouvernement central joue-t-il avec le feu institutionnel ? Cette stratégie, si elle vise à contrôler les leviers locaux, risque d’enflammer une poudrière régionale où la légitimité des institutions reste fragile. Les manifestants exigent une intervention présidentielle immédiate pour restaurer « la légalité et la légitimité » au sein de l’hémicycle provincial. Sans correction rapide, cette crise pourrait déstabiliser durablement la gouvernance du Kasaï-Central et réveiller de vieux démons.
Le ministre de l’Intérieur, piégé dans son propre jeu, semble ignorer que la légalité formelle ne suffit pas à fonder l’autorité politique. En soutenant une minorité parlementaire, ne sape-t-il pas la crédibilité même de l’État qu’il est censé incarner ? La marche de Kananga, au-delà du rejet d’une décision technique, cristallise un rejet plus profond : celui d’un centralisme autoritaire méprisant les équilibres locaux. À l’heure où la RDC tente de consolider sa décentralisation, ce précédent ouvre une boîte de Pandore dont les conséquences pourraient déborder le cadre provincial. La balle est désormais dans le camp du Président : laissera-t-il l’arbitraire ministériel l’emporter sur l’État de droit ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net