Dans un geste judiciaire sans précédent, l’Alliance des autorités traditionnelles et coutumières pour le Grand Congo (AATCC) a initié une procédure contre la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et l’Église du Christ au Congo (ECC). Ce mercredi 16 juillet, son président Emmanuel Lemba-Lemba, accompagné d’une délégation de chefs coutumiers, a déposé une plainte formelle au parquet près de la Cour de cassation, marquant une escalade significative dans le conflit opposant pouvoir coutumier et institutions religieuses en République Démocratique du Congo.
L’objet central de cette plainte AATCC CENCO repose sur l’accusation d’usurpation de prérogatives constitutionnelles. Les autorités traditionnelles reprochent aux deux entités religieuses d’avoir initié et conduit le processus de paix national en empiétant sur des compétences exclusivement réservées aux chefs coutumiers par la loi fondamentale. Cette situation soulève des interrogations cruciales : jusqu’où s’étend l’influence des Églises dans la gouvernance coutumière ? Et cette initiative religieuse constitue-t-elle une ingérence dans les affaires traditionnelles congolaises ?
Le fondement juridique de cette action en justice trouve son ancrage dans l’article 207, alinéa 4 de la Constitution congolaise, qui reconnaît et garantit l’autorité des chefs coutumiers dans la gestion des affaires traditionnelles. L’AATCC soutient que les activités médiatrices de la CENCO et de l’ECC lors des négociations de paix ont franchi les limites fixées par cet article, créant ainsi un précédent dangereux pour l’équilibre des pouvoirs en RDC. Cette violation alléguée pourrait-elle remettre en cause la légitimité des accords de paix parrainés par les Églises ?
Emmanuel Lemba-Lemba, dans ses déclarations préliminaires, a souligné que « l’usurpation systématique des fonctions coutumières par des acteurs religieux sape les fondements mêmes de notre organisation sociale ancestrale ». Cette plainte historique intervient dans un contexte où les autorités traditionnelles voient leur influence progressivement érodée par des institutions religieuses dont le rôle politique n’a cessé de croître lors des dernières décennies. Le procès ECC RDC qui pourrait découler de cette action promet d’examiner minutieusement la délimitation constitutionnelle entre sphère religieuse et pouvoir traditionnel.
Les implications de cette procédure judiciaire dépassent le cadre strictement légal. Elles touchent à l’équilibre des pouvoirs dans la gestion des conflits communautaires et posent la question fondamentale de la place des coutumes dans l’architecture institutionnelle moderne de la RDC. Le parquet général près la Cour de cassation devra désormais se prononcer sur la recevabilité de cette plainte, première étape avant une éventuelle mise en examen des responsables religieux visés. Cette décision sera scrutée comme un test de l’indépendance judiciaire face à des institutions religieuses influentes.
Si l’affaire est jugée recevable, elle pourrait déboucher sur une procédure complexe examinant l’articulation entre droit positif et droit coutumier. Les magistrats devront notamment déterminer si les actions de médiation religieuse constituent une violation caractérisée des prérogatives coutumières ou relèvent de la liberté d’action des organisations confessionnelles. Cette affaire pourrait établir un précédent jurisprudentiel déterminant pour les futures interactions entre autorités traditionnelles et Églises en RDC.
Le conflit pouvoir coutumier RDC révélé par cette plainte illustre les tensions croissantes dans la répartition des rôles sociaux. Alors que le pays cherche à consolider ses institutions démocratiques, cette confrontation juridique inédite entre autorités traditionnelles contre Églises met en lumière les défis de la coexistence des systèmes de gouvernance traditionnels et modernes. La suite de cette affaire dépendra désormais des réquisitoires du ministère public et de la décision de la Cour de cassation sur l’opportunité des poursuites.
Article Ecrit par Cédric Botela
Source: radiookapi.net