Dans l’étouffant labyrinthe urbain de Kinshasa, où les embouteillages monstres constituent le quotidien des citoyens, un autre fléau vient exacerber le désordre routier : les cortèges des puissants. Ces convois, affranchis de toute règle, transforment les artères de la capitale en terrain de privilège, comme observé récemment au carrefour des Huileries.
Quelle autorité morale peuvent invoquer les forces de l’ordre quand elles escortent elles-mêmes des véhicules sans insigne officiel franchissant impunément feux rouges et sens interdits ? Les gyrophares, symboles théoriques d’urgence légitime, se muent en instruments d’intimidation au service d’une impunité éhontée. Les témoignages recueillis auprès d’automobilistes exaspérés révèlent une amertume croissante : « Comment voulez-vous qu’on respecte la loi quand ceux qui doivent la faire respecter sont les premiers à la violer ? », interroge un usager, résumant le sentiment général.
Cette pratique routière des autorités RDC ne relève pas de simples incivilités, mais d’une véritable pathologie gouvernante. L’analyste politique interrogé pointe une dérive systémique : « C’est un problème structurel de gouvernance routière qui instaure une jurisprudence dangereuse. La loi devient à géométrie variable, calibrée sur le statut social. » Cette violation systématique du code route par les élites ne crée-t-elle pas un modèle de désinhibition collective ?
Les conséquences dépassent largement le simple désordre routier Kinshasa. Chaque passage en force d’un cortège officiel creuse un peu plus le fossé entre gouvernants et gouvernés, érodant le civisme fondamental. L’étudiante kinoise qui s’exaspère – « À quoi ça sert de respecter ? » – incarne cette désillusion générationnelle. L’impunité routière devient ainsi le miroir grossissant d’un malaise démocratique : quand les gyrophares symbolisent non plus l’autorité légitime, mais l’immunité des puissants, ne signent-ils pas l’acte de décès de la crédibilité institutionnelle ?
Cette culture de l’exception permanente sape méthodiquement toute tentative de régulation. Comment imposer le respect des règles de circulation quand les premiers contrevenants sont ceux-là mêmes qui devraient incarner l’État de droit ? La gouvernance routière RDC se trouve ainsi prise au piège de ses propres contradictions. Chaque infraction commise par un cortège officialise en pratique l’idée que la loi est négociable, ouvrant la voie à une anarchie mimétique.
À l’heure où Kinshasa suffoque dans les embouteillages, ce système à deux vitesses constitue un luxe que la métropole ne peut plus s’offrir. La réforme tant promise du secteur routier restera lettre morte tant que persistera ce délitement par le haut. L’enjeu dépasse la fluidité du trafic : c’est la relation fondamentale entre l’État et ses citoyens qui se joue dans le mépris des feux rouges et le franchissement des sens interdits. La route vers une ville apaisée passe nécessairement par l’exemplarité retrouvée de ceux qui la sillonnent en gyrophare.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net