Les mains vides et le regard perdu vers l’horizon des collines, Kambale, père de cinq enfants, contemple impuissant ses champs inaccessibles. « Nos récoltes pourrissent là-bas pendant que nos enfants pleurent de faim ici à Rushovu », témoigne-t-il, la voix brisée par l’émotion. Comme des milliers d’autres dans la chefferie de Bwito, au territoire de Rutshuru, sa famille subit une crise humanitaire au Nord-Kivu qui atteint des niveaux critiques. Empêchés d’accéder à leurs terres agricoles par les rebelles du M23, les habitants de cinq villages voient leur sécurité alimentaire s’effondrer jour après jour.
À Runzenze, Marangara – où même le centre de santé est paralysé – Kasali, Kirumba et Lukarara, les champs sont devenus des zones interdites. Les paysans des groupements de Tongo et Bambo assistent, impuissants, à la décomposition de leurs récoltes. Une situation absurde qui transforme une région fertile en épicentre d’une pénurie de nourriture à Bwito. « Comment expliquer à un enfant qu’on laisse volontairement mourir des tonnes de manioc et de haricots à quelques kilomètres ? », s’interroge Mukarugema, cultivatrice déplacée.
Depuis fin mai, ces populations fuient les combats entre le M23 et les FDLR, trouvant refuge dans des localités comme Kiyenje ou Kalengera. Leur quotidien ? Une détresse extrême dans des abris de fortune, sans ressources ni perspectives. Les déplacés de Rutshuru lancent un appel désespéré : obtenir un accès temporaire à leurs champs pour sauver le peu qui reste comestible. Mais les barrières des rebelles tiennent bon, malgré l’absence actuelle d’affrontements. « Ils contrôlent les chemins comme s’ils possédaient nos vies », dénonce un notable sous couvert d’anonymat.
L’offensive du M23 dans ce bastion présumé des FDLR a laissé des cicatrices profondes : maisons calcinées, violences inouïes, vies brisées. Derrière chaque statistique se cache un drame personnel, comme celui de cette grand-mère retrouvée dans les décombres de sa cuisine. Cette crise humanitaire au Nord-Kivu illustre cruellement comment le conflit M23 à Bwito détruit bien plus que des infrastructures – il anéantit la résilience même des communautés.
L’insécurité alimentaire n’est pourtant qu’une facette du désastre. Privés de leurs terres, les paysans perdent leur identité sociale et leur capacité d’autosuffisance. Les enfants souffrent de retards de croissance, les maladies hydriques prolifèrent dans les sites de déplacés, et l’économie locale s’est évaporée. Une spirale infernale où la pénurie nourrit l’instabilité, qui à son tour aggrave la pénurie.
Les organisations humanitaires tentent d’apporter une aide d’urgence, mais comment répondre à des besoins si massifs sans accès aux zones concernées ? La restriction d’accès aux champs du Nord-Kivu par des groupes armés constitue une violation criarde du droit humanitaire. Cette crise révèle aussi l’impuissance des mécanismes de protection des civils. Combien de saisons agricoles perdues faudra-t-il avant que cessent ces blocages inhumains ?
Alors que les greniers se vident et que l’espoir s’amenuise, une question taraude les déplacés : jusqu’à quand devront-ils choisir entre mourir de faim ou risquer leur vie pour récolter leur propre nourriture ? Dans cette partie oubliée du Congo, l’accès à la terre est devenu une question de survie immédiate – et un droit fondamental bafoué quotidiennement.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net