Les pieds nus dans la boue ocre de Tchomia, Jean-Luc Mboko serre contre lui le maigre baluchon contenant toute sa vie. « En Ouganda, on nous promettait du pain, mais nos enfants pleuraient la faim chaque nuit », lâche-t-il, le regard rivé sur les eaux turbulentes du lac Albert. Comme lui, des centaines de familles congolaises ont entamé depuis mai un retour périlleux de l’exil ougandais vers les camps de pêche du territoire de Djugu, dans cette province de l’Ituri meurtrie par des années de conflits. Un mouvement de retour des réfugiés congolais qui interroge autant qu’il inquiète.
Selon le dernier rapport du service provincial de la Protection civile publié ce mardi 8 juillet, ces populations fuient une double détresse : la précarité insoutenable des camps ougandais où l’assistance alimentaire s’est tarie, et l’appel viscéral de la terre natale rendu possible par une accalmie sécuritaire relative. Grâce aux opérations conjointes des armées congolaise (FARDC) et ougandaise (UPDF), les fusils se sont tus momentanément dans ces zones frontalières. Mais pour combien de temps ? La question hante chaque retourné.
Pourtant, derrière ce retour massif des réfugiés congolais se cache une amère réalité. La plupart avaient fui il y a quelques mois seulement les exactions des groupes armés dans leurs villages de Nyamamba, Joo ou Mbogi. Aujourd’hui, ils retrouvent des maisons calcinées et des champs en friche. « Nous revenons les mains vides dans des villages fantômes », témoigne Aminata Biremo, rencontrée près du lac Albert où elle tente de reconstruire un abri de fortune. Cette vulnérabilité extrême au bord du lac Albert crée un terreau fertile pour de nouvelles violences.
Le service de la Protection civile lance un cri d’alarme glaçant : sans intervention immédiate, ces familles démunies pourraient basculer dans la désespérance. « Quand des adolescents n’ont connu que la fuite et la faim, comment résisteraient-ils à la propagande des milices ? », interroge un agent humanitaire sous couvert d’anonymat. La crise humanitaire en Ituri prend ici un visage concret : celui de milliers de personnes coincées entre l’enfer de l’exil et le cauchemar du retour.
Les derniers groupes arrivés ce week-end à Tchomia et Kasenyi dressent un constat implacable. L’aide promise tarde à se matérialiser sur ce littoral oublié. Pourtant, les besoins criants : abris, nourriture, soins médicaux, mais surtout sécurité. La situation exige une coordination urgente entre Kinshasa, les organisations humanitaires et les autorités locales. Sans une aide structurée dans le territoire de Djugu, cette fragile accalmie pourrait tourner au mirage sanglant.
Alors que le soleil couchant dore les eaux du lac Albert, des enfants décharnés fouillent les déchets près des camps de pêche. Ce retour des réfugiés congolais, censé sonner l’espoir, révèle en réalité la profondeur d’une crise qui dépasse les frontières. La communauté internationale se souviendra-t-elle que la vraie paix ne se mesure pas au silence des armes, mais à la dignité retrouvée des survivants ? L’heure n’est plus aux rapports, mais à l’action concrète pour éviter qu’une génération entière ne sombre dans les ténèbres de l’Ituri.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net