Les ciseaux se sont tus à Kinshasa. Pulchery Esamotunu, l’artisan qui tissait la beauté sous le nom de Cherry Esam, a rangé définitivement son dé à coudre ce 7 juillet 2025. La capitale congolaise, bercée par le crépitement des machines à coudre en deuil, voit s’éteindre à 50 ans l’un des gardiens du temple de la mode rd-congolaise. Comme si les pagnes avaient soudain perdu leurs couleurs les plus vibrantes.
Derrière les robes de soirée qui illuminaient les événements kinois se cachait un destin tissé de paradoxes. Celui qui rêvait d’être peintre ou musicien a finalement trouvé son pinceau dans l’aiguille, apprenant l’art sacré du tissu aux côtés de sa mère, Sœur Kato. Sans diplôme mais avec une intuition folle, Cherry Esam bâtit son empire sur cette transmission maternelle, créant une esthétique où l’identité congolaise dialoguait avec le monde.
Qui aurait cru que ce jeune homme, épris de mélodies, deviendrait le maître d’orchestre de quinze collections présentées sur quatre continents ? Son jubilé d’argent célébré en octobre 2024 ressemble aujourd’hui à un adieu en majesté. Sous les projecteurs du défilé anniversaire, chaque pli, chaque broderie chantait vingt-cinq ans de sacrifices où le créateur de mode Kinshasa transformait la passion en patrimoine.
La FECOMA, dans un communiqué empreint d’émotion, salue la mémoire de ce « passionné créatif et engagé ». Véritable architecte du textile national, Cherry Esam militait pour une industrie locale structurée, capable de participer à la diversification économique. Son combat résonne désormais comme un testament : comment la RDC pourrait-elle oublier celui qui voulait habiller sa souveraineté économique ?
L’annonce du décès du styliste congolais a provoqué une onde de choc dans la communauté créative. Lydia Nsambayi, la modéliste, laisse échapper un cri du cœur : « Compagnon de lutte, tu as brisé mon cœur papa ». Tandis que son confrère Cedric Isengoma rend hommage au « champion » disparu. Ces voix tremblantes dessinent en creux l’immense vide laissé par celui dont les mains magiques sculptaient l’étoffe des rêves kinois.
Que reste-t-il d’un artiste lorsque les ciseaux se taisent ? Un héritage où chaque robe devient un manifeste, chaque collection un chapitre d’histoire. Dans l’atelier silencieux de Cherry Esam, résonne encore cet espoir fou : voir un jour le pagne congolais triompher sur les marchés mondiaux. La mode RDC perd son ambassadeur, mais gagne une légende. Qui portera désormais le flambeau de cette révolution textile tant rêvée ?
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Eventsrdc