Une signature sous haute surveillance internationale. Le vendredi 27 juin 2025, à Washington, la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda ont signé un accord de paix historique sous l’égide des États-Unis, déclenchant un véritable élan d’espoir parmi les Congolais . Présidée par le secrétaire d’État américain Marco Rubio, la cérémonie a réuni la ministre congolaise des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba, et son homologue rwandais, Olivier Nduhungirehe, en présence du président américain Donald Trump. Ce texte, dont l’objectif affiché est de mettre fin au conflit de longue durée qui ravage l’Est de la RDC, prévoit notamment le retrait des troupes rwandaises de la région et la mise en place d’un cadre économique commun pour stimuler les investissements étrangers. Les autorités congolaises parlent d’un « tournant » : comme l’a souligné Mme Kayikwamba lors de la signature, « ce moment a été long à venir. Ce [traité] ne fera pas disparaître la douleur, mais il peut commencer à restaurer ce que le conflit a enlevé : la sécurité, la dignité et l’espoir d’un avenir meilleur. » Tous deux rappellent cependant que cet accord doit immédiatement être suivi d’un désengagement concret sur le terrain, de la fin des exactions et du retour des réfugiés et déplacés, sinon « la paix restera un vœu pieux » pour les populations de l’Est.
Les promesses concrètes de l’accord
L’accord signé énumère plusieurs mesures clés, même si certains points sensibles restent à préciser dans la version finale. Parmi les dispositions principales figurent :
- Cesser immédiatement les hostilités entre les forces armées rwandaises et congolaises et lancer un processus de désengagement. Les deux pays s’engagent à faire tomber les armes pour reprendre confiance mutuelle.
- Retrait des troupes rwandaises : Kigali doit retirer ses soldats déployés en RDC dans un délai de 90 jours. Cette clause promet de concrétiser un accord antérieur de 2024. Le traité prévoit également la mise en place, en 30 jours, d’un mécanisme conjoint de coordination sécuritaire pour surveiller le cessez-le-feu et vérifier le retrait.
- Neutralisation du FDLR : l’accord n’omet pas la question des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), milice hutu considérée comme dangereuse par Kigali. Le Rwanda s’est engagé à faciliter l’« opération de neutralisation » de ce groupe et à lever ses « mesures défensives » en RDC une fois que le FDLR sera désarmé, fondement selon Nduhungirehe « de la paix et de la sécurité dans notre région ».
- Retour des réfugiés : les deux gouvernements s’engagent à faciliter le retour « sûr, volontaire et digne » des réfugiés congolais et rwandais, avec l’aide du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR). De nombreuses familles ont fui la guerre dans l’Est depuis des années.
- Intégration économique et exploitation minière : l’accord crée un cadre d’intégration économique régionale à mettre en œuvre sous 90 jours. Il prévoit aussi le développement de chaînes de valeur communes pour sécuriser l’exploitation et l’exportation de minerais stratégiques (cobalt, coltan, or, etc.) en partenariat avec des investisseurs occidentaux. Les gouvernements congolais et rwandais seront ainsi encouragés à coordonner leurs efforts dans les filières minières pour attirer des milliards de dollars d’investissements, notamment américains.
- Étape finale à venir : les présidents Félix Tshisekedi et Paul Kagame sont attendus à Washington dans les semaines suivantes pour signer le protocole complet et finaliser l’ensemble des engagements. Ce rendez-vous crucial déterminera en pratique si les promesses du texte sont clarifiées et renforcées avant d’entrer en vigueur.
Cet accord ambitieux inclut donc un volet sécuritaire et un volet économique. Il s’appuie sur la médiation conjointe des États-Unis (côté Trump) et du Qatar (via les pourparlers de Doha). Les points de friction connus – notamment la présence des rebelles M23 et le retrait des forces rwandaises – sont abordés indirectement : Kigali nie officiellement soutenir le M23, mais accepte de cesser ses « mesures défensives » une fois le FDLR éradiqué. En filigrane, les experts notent que le traité appelle aussi à « désamorcer les chaînes d’approvisionnement minérales critiques », soulignant que « sécuriser l’Est, c’est aussi sécuriser les investissements ».
Réactions officielles : entre joie et mise en garde
Les réactions officielles ont été pour la plupart positives et même triomphantes. À Washington, le président Trump a affirmé : « La violence et la destruction prennent fin, et toute la région entame un nouveau chapitre d’espoir et d’opportunités. C’est un jour merveilleux ». Il se vante même d’avoir « obtenu beaucoup de droits miniers du Congo pour les États-Unis grâce à cet accord ». Le secrétaire d’État Marco Rubio, hôte de la cérémonie, a salué « un moment important après 30 ans de guerre », en insistant sur le bien-être des populations : « Il s’agit de permettre aux gens de vivre, d’avoir des rêves et des espoirs – choses impossibles en temps de guerre. »
Du côté congolais, la ministre Thérèse Kayikwamba a remercié Washington pour son rôle tout en insistant sur la responsabilité de respecter scrupuleusement le traité : « Ceux qui ont le plus souffert sont en train de regarder. Ils attendent que cet accord soit respecté. » Au gouvernement, on met l’accent sur l’opportunité de développer l’économie. Le président Tshisekedi devrait souligner prochainement que cette paix négociée ouvre la voie à d’importants investissements étrangers, notamment dans les infrastructures et l’exploitation minière.
En RDC, de nombreux élus et partis politiques saluent un « retour de la diplomatie » et la promesse de voir « sortir de la guerre une génération en paix ». Mais certains rappellent que le Parlement n’a pas été consulté – facteur de prudence – et que chaque signature doit être suivie de mesures concrètes. Des voix ministérielles insistent sur l’impératif de justice : sans réparations ni poursuites pour les crimes de guerre commis, « il n’y a pas de paix », résument-elles.
Au Rwanda, Kigali maintient ses exigences de neutraliser le FDLR. Le gouvernement rwandais note que l’accord reconnaît le droit du Rwanda de se défendre contre les milices hutu antigouvernementales, tout en exigeant que Kinshasa mette fin à toute « ingérence ». Officiellement, le Rwanda estime que l’Est congolais est le terrain d’un problème interne congolais (le M23 négocie séparément avec Kinshasa à Doha), mais il affirme qu’il retirera ses troupes dès que les FDLR seront désarmés. Kigali salue pour sa part la réduction du conflit, espérant que la région des Grands Lacs devienne un modèle de stabilité propice au développement économique.
L’espoir des populations et de la diaspora
Dans les villes de l’Est, comme à Goma ou Bukavu, cette signature a été accueillie avec prudence mêlée d’espoir. Sur le terrain, les habitants disent tout d’abord souhaiter la paix avant tout. À Goma, un résident affirme : « Nous demandons avant tout la paix chez nous. La paix est cruciale pour l’économie et la vie quotidienne. Nous voulons simplement des résultats concrets pour qu’il redevienne possible de vivre normalement. » À Bukavu, certains ont célébré la nouvelle en priant pour que les deux voisins cohabitent enfin : « Si nos autorités signent et que la paix revient, que Dieu les bénisse », dit un autre habitant.
Dans la capitale Kinshasa, l’annonce fait la une des journaux et provoque des débats passionnés. Dans le quartier de La Gombe, beaucoup attribuent leur optimisme à l’implication américaine : « Peut-être que cette fois-ci, ce sera la bonne », commente Josué Aton, fonctionnaire. « Les Américains ont pris les devants : ce sont eux qui alimentaient la machine, achetaient nos minerais au Rwanda. S’ils veulent changer les choses, on peut espérer que ça marche. » Mais d’autres Congolais restent très sceptiques. Emmanuelle, cadre bancaire, demande : « À quoi bon signer encore des accords qui ne sont pas respectés ? Ce n’est pas la première fois qu’on tente quelque chose – ils ne sont jamais suivis d’effet. » Beaucoup soulignent l’absence de volet réparations : pour ces voix, la paix ne peut être complète sans justice et indemnisation pour les victimes des atrocités commises dans l’Est.
La diaspora congolaise en Europe, très informée et souvent mobilisée, a suivi l’événement à distance avec un mélange d’enthousiasme prudent et d’inquiétude. À Paris, plusieurs Congolais interrogés expriment leur scepticisme. Ils reconnaissent l’importance historique du geste diplomatique, mais déclarent « attendre de voir si Kigali respectera sa signature ». Un collectif de la diaspora (la “Diaspora congolaise unie pour la paix en RDC”) a même publié un communiqué pour saluer l’“avancée diplomatique” tout en appelant à éclaircir les « non-dits majeurs » du texte. Ce groupe craint en particulier l’absence de clause exigeant explicitement le retrait immédiat des troupes rwandaises et le silence complet sur un programme de justice pour les millions de victimes congolaises. Pour eux, toute « paix » doit garantir la souveraineté et la mémoire des Congolais – pas seulement l’exploitation de leurs ressources.
Les analystes internationaux : un tournant incertain
De nombreux experts estiment que l’accord représente un tournant potentiel, mais pas la fin garantie de la guerre. Selon le politologue Jason Stearns (Simon Fraser University), « c’est la meilleure chance d’un processus de paix pour le moment malgré tous les défis et imperfections ». Il note cependant que des formules similaires avaient déjà été tentées. Tresor Kibangula, analyste politique congolais, résume l’esprit du deal : « Ce message stratégique dit : sécuriser l’Est, c’est aussi sécuriser les investissements. » En clair, les Occidentaux veulent leur part des gisements de cobalt, lithium et terres rares nécessaires à la transition énergétique mondiale.
Cette dimension économique suscite des craintes de « paix pour l’exploitation ». Le Congolais Kambale Musavuli parle d’un « Berlin II », rappelant le partage colonial de l’Afrique, quand des intérêts étrangers profitent de la faiblesse congolaise. Le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix congolais, dénonce quant à lui « une capitulation scandaleuse de la souveraineté » qui validerait de facto l’occupation et l’exploitation de la RDC par des puissances étrangères. Dans la même veine, l’analyste Lindani Zungu parle d’un accord « cachant un commerce mondial des ressources sous des oripeaux diplomatiques, une paix pour l’exploitation que les pays africains comme le nôtre ne devraient pas accepter. »
Sur le terrain humanitaire, les observateurs restent très vigilants. Amnesty International a immédiatement pointé que le texte ne prévoyait aucun mécanisme de justice pour juger les atrocités commises en RDC. Sa secrétaire générale Agnès Callamard déplore qu’« en n’abordant pas l’impunité pour les crimes horribles commis dans l’est du pays, l’accord rate une occasion de s’attaquer de manière décisive à l’un des facteurs anciens du conflit. » L’ONG exhorte Kinshasa et Kigali à obliger les groupes armés M23 et « Wazalendo » à respecter le droit international humanitaire et à protéger les civils encore pris au piège des combats.
Même parmi les Congolais de l’Est, le sentiment est mitigé. Certains attendent avec impatience la désescalade promise, tandis que d’autres observent que pour l’instant « rien n’indique que le M23 compte se retirer » de Goma et Bukavu. Des leaders locaux rappellent que les signataires congolais et rwandais auront bientôt à rendre des comptes : si Tshisekedi et Kagame réussissent à imposer leur feuille de route, la réalité sur le terrain pourrait changer. Mais si les promesses restent lettre morte, la défiance reviendra vite. « Quand j’ai entendu cet accord, j’ai pensé que la paix allait enfin revenir, puisque l’Amérique est impliquée », raconte par exemple Kabuyaya Matayo, 80 ans, habitant de Lubero. « Nous avons trop souffert, nous voulons la paix », ajoute-t-il, bien que son voisin moins optimiste s’attende à ce que « le M23 dise que ce n’est pas son affaire ».
Quel avenir pour la paix en RDC ?
Ce nouvel accord entre Kinshasa et Kigali suscite donc un vif mélange d’espoir et de méfiance. Après trente ans de guerres civiles et régionales, de premiers fragments de paix et de nouvelles flambées de violence, beaucoup accueillent la démarche comme « une chance à saisir ». Le soutien affirmé de la communauté internationale et l’implication des deux chefs d’État donnent à cet accord une portée sans précédent. Mais les sceptiques notent que le sort réel de la paix dépendra de sa mise en œuvre stricte. La diaspora et la société civile congolaises l’appellent de leurs vœux sous condition d’être « une paix qui garantit souveraineté, justice et mémoire ». Autrement dit, la signature n’est que le début d’un long processus : les millions de Congolais de l’Est, épuisés et traumatisés, attendent de voir sur le terrain le retrait effectif des troupes, la désintégration des milices criminelles, et des retombées concrètes de la coopération économique promise.
Au final, cet accord de paix marque incontestablement un progrès diplomatique historique. Mais il ne garantit pas à lui seul la fin définitive des hostilités. L’enjeu désormais est de transformer l’espoir qu’il suscite en réalités tangibles – sinon l’Est de la RDC risque de retomber dans la guerre, en vertu des dynamiques qui perdurent malgré tous les traités signés depuis trente ans.
Sources : Dépêches Reuters et AFP, analyses Al Jazeera, Amnesty International, Radio Okapi et reportages RFI / Global Press.