Le bruit des balles qui sifflent encore aux oreilles, Jeanne, mère de quatre enfants, serre contre elle le maigre baluchon contenant toute sa vie. « Nous avons couru toute la nuit lorsque les combats ont éclaté près de notre champ à Bapfuna. Mes enfants pleuraient de faim et de peur… Où trouver la sécurité maintenant ? » Son témoignage glaçant illustre le calvaire des milliers de Congolais pris en étau dans l’escalade des violences entre les groupes armés Wazalendo et les rebelles du M23 dans le territoire de Masisi.
Selon le dernier rapport du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), au moins 6 768 personnes issues de 1 128 ménages ont été contraintes de fuir leurs foyers depuis le 6 mai 2025. Une hémorragie humaine directement liée aux affrontements qui ensanglantent les groupements de Bapfuna, Banyungu et Buabo, transformant cette zone de santé de Masisi en véritable poudrière. Comment expliquer que des civils continuent de payer le prix fort d’un conflit qui semble sans fin ?
La situation s’est particulièrement détériorée sur l’axe stratégique Masisi-centre – Walikale, où l’intensité des combats paralyse toute tentative d’assistance humanitaire. « Chaque explosion, chaque rafale signifie de nouvelles familles jetées sur les routes de l’exil », déplore un travailleur humanitaire sous couvert d’anonymat. À la mi-juin, le village de Bukombo, situé à peine à vingt kilomètres à l’ouest de Masisi-centre, a été le théâtre de nouveaux heurts, provoquant des déplacements supplémentaires dont l’ampleur reste encore à évaluer.
Dans ce paysage apocalyptique, quelques lueurs d’espoir persistent grâce au courage des organisations humanitaires. Médecins Sans Frontières (MSF) Belgique maintient coûte que coûte ses cliniques mobiles à Masisi-centre, offrant des soins gratuits et une assistance nutritionnelle vitale. Non loin de là, dans le centre de santé de Mutiri, l’ONG Première Urgence apporte depuis mai un soutien médical indispensable. Mais ces efforts ressemblent à une goutte d’eau dans l’océan des besoins criants.
Le territoire voisin de Rutshuru n’est pas épargné par cette crise humanitaire. Dans les villages de Jacques I, Jacques II et Kilalo, ce sont 4 347 déplacés répartis dans 621 ménages qui tentent de survivre après avoir fui les combats entre les Wazalendo du Collectif des Mouvements pour le Changement et les combattants de l’Alliance Fleuve Congo / M23. Originaires de Kazuba, Masha ou Kanyatsi, ces familles épuisées racontent toutes la même histoire : celle d’une fuite panique sous les tirs croisés.
Pire encore, cette nouvelle vague de déplacements s’ajoute au drame des retournés. Entre février et avril 2025, 1 895 ménages étaient revenus dans leurs villages après l’occupation de Goma, pour se retrouver à nouveau piégés par la reprise des hostilités. Au total, ce sont 17 612 personnes issues de 2 516 ménages qui survivent dans une vulnérabilité aiguë, urgent besoin de nourriture, d’eau potable et d’abris dignes.
Cette catastrophe humanitaire dans le Nord-Kivu sonne comme un cruel désaveu de l’accord de paix signé entre la RDC et le Rwanda. Comment comprendre que la situation continue de se dégrader alors que les diplomates échangent des poignées de main ? Les violences armées au Kivu creusent chaque jour davantage le fossé entre les promesses politiques et la réalité vécue par des populations abandonnées à leur sort. Jusqu’à quand la communauté internationale restera-t-elle spectatrice de cette tragédie qui mine l’est de la RDC ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
