La poussière s’élève en nuages épais sur la route Kimwenza, ensevelissant sous un voile ocre les étals de Zuzu Masengo. « Regardez mon pain ! Impossible de le vendre couvert de cette terre », lance la commerçante en essuyant d’un geste rageur ses sacs de farine. Comme des centaines d’habitants des communes de Makala, Lemba et Mont-Ngafula, elle vit au rythme chaotique des travaux routiers Mont-Ngafula qui devaient révolutionner leurs déplacements entre Kikwit et le By-pass.
Depuis plusieurs mois, ce chantier stratégique traverse une étrange hibernation. Pourtant, les premiers engins avaient suscité un véritable soulagement. Carine Sofia se souvient des tracasseries d’avant : « Pour aller à l’hôpital, je devais faire un détour interminable par la route universitaire, le rond-point Ngaba et l’UPN. Maintenant, j’aperçois le By-pass depuis ma cour ! » Son espoir reflète celui de milliers de riverains qui voient dans cette route Kimwenza Kinshasa une promesse de désenclavement.
Mais sur le terrain, l’enthousiasme a cédé la place à l’amertume. Le bitume inachevé forme des plaques disjointes comme un puzzle abandonné. « Ils ont bien commencé le chantier Makala, puis plus rien », déplore Zuzu en protégeant ses marchandises d’un nouveau nuage poussiéreux. Les désagréments commerçants Lemba sont tangibles : stocks dépréciés, clients fuient la zone, chiffres d’affaires en chute libre. Combien de petits commerces survivront à cette transition douloureuse ?
Emmanuel Lumanika, riverain depuis quinze ans, scrute les fondations avec méfiance. « Ce qui m’inquiète ? Qu’on nous livre une route fantôme qui s’effritera dans trois ans ! » Son doigt trace le tracé historique longeant l’ancien lit de rivière. « L’asphaltage Kikwit doit résister aux pluies diluviennes. Nous méritons une infrastructure digne, pas un trompe-l’œil. » Cette exigence de durabilité résonne comme un cri collectif dans les parcelles alentour.
L’arrêt des travaux pose une question cruciale : pourquoi avoir mobilisé espoirs et énergies pour les laisser en suspens ? Les riverains observent, impuissants, les engins immobiles rouiller sous le soleil équatorial. Les enfants jouent sur les monticules de graviers transformés en terrains d’aventure improvisés. Pendant ce temps, les commerçants calculent leurs pertes quotidiennes. Jusqu’à quand devront-ils choisir entre fermer boutique ou vendre des produits couverts de poussière ?
Cette route est pourtant vitale. Elle symbolise le développement tant attendu de la périphérie kinoise, un cordon ombilical entre des quartiers longtemps isolés. Son achèvement pourrait dynamiser l’économie locale, fluidifier le transport, désengorger les axes saturés. Mais le chantier inachevé cristallise toutes les craintes : projets inaboutis, fonds détournés, promesses non tenues. La population retient son souffle, suspendue entre la mémoire des trajets interminables d’hier et l’incertitude d’un lendemain toujours repoussé.
La balle est désormais dans le camp des autorités. Les habitants de Kimwenza attendent des actes concrets : une reprise effective des travaux, des mesures d’accompagnement pour les commerçants sinistrés, des garanties sur la qualité des matériaux. Car au-delà du goudron, c’est la crédibilité des engagements de l’État qui se joue sur ce ruban de terre rouge. Les Kinois méritent-ils seulement des routes en trompe-l’œil ou un réseau pérenne qui survivra aux intempéries et aux ans ? La réponse se construit aujourd’hui, centimètre par centimètre, sur le chemin poussiéreux de Kimwenza.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd