Dans le paysage politique congolais où les fractures sociales menacent perpétuellement l’unité nationale, l’initiative conjointe de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et de l’Église du Christ au Congo (ECC) apparaît comme une lueur d’espoir stratégique. L’atelier valeurs démocratiques RDC tenu ce mardi 1er juillet à Kinshasa a rassemblé l’élite académique autour d’une question brûlante : quels fondements éthiques pour une nation résiliente ?
Les travaux, articulés autour du triptyque justice-démocratie-fraternité, s’inscrivent dans le cadre plus vaste du pacte social Kinshasa pour la paix et le bien-vivre ensemble. Cyril Ebotoko, secrétaire de la Commission épiscopale justice et paix, en a précisé l’ambition : « Nous avons mis au centre le concept de nation, en lien avec le pacte social pour la paix et le bien-vivre ensemble en RDC et dans la région des Grands Lacs ». Une déclaration qui souligne combien ce projet dépasse le simple cadre théorique pour s’ancrer dans les réalités géopolitiques explosives de la région.
Mais la CENCO-ECC paix peut-elle véritablement infléchir les dynamiques de fragmentation ? Joseph Bolese, chargé de programme, défend une vision opérationnelle : « La démocratie que nous avons choisie doit déboucher sur des élections crédibles, avec des dirigeants soucieux du bien commun ». Le sous-texte est limpide : sans élections crédibles Congo, le contrat social restera lettre morte. Cette insistance sur la qualité des processus électoraux résonne comme un avertissement aux acteurs politiques tentés par les raccourcis clientélistes.
L’atelier s’inscrit dans une stratégie plus large de renforcement citoyenneté RDC, visant explicitement à transformer les attitudes passives en engagement actif. Les universitaires, ciblés en première phase, sont perçus comme des multiplicateurs d’influence capables d’irriguer la société civile. La démarche se veut pédagogique mais non naïve : peut-on vraiment forger une conscience citoyenne dans un contexte où les institutions peinent à incarner les vertus qu’elles prônent ?
L’architecture du projet révèle une méthodologie en trois temps : clarification des valeurs, transformation des comportements, puis inclusion des décideurs politiques. La prochaine étape prévoit d’ailleurs des rencontres avec les partis politiques. Une séquence cruciale où se jouera la crédibilité de l’initiative : les élites accepteront-elles de se soumettre au même examen critique que la société civile ?
Le choix des trois piliers – justice, démocratie, fraternité – ne doit rien au hasard. Il répond à une analyse fine des carences congolaises : une justice perçue comme instrumentalisable, une démocratie réduite souvent à des simulacres électoraux, une fraternité minée par les calculs ethnorégionaux. La CENCO-ECC paix mise sur l’édification d’un socle éthique commun pour contrer ces dérives. Mais ce volontarisme moralisateur suffira-t-il face aux logiques de prédation économico-politique ?
Dans l’immédiat, l’initiative constitue un baromètre intéressant des équilibres de pouvoir. Le fait que les Églises s’érigent en garantes du pacte social interroge la capacité de l’État à remplir ce rôle régalien. Une situation qui n’est pas sans rappeler leur implication passée dans les accords politiques de la Saint-Sylvestre. Le risque d’une spiritualisation excessive des enjeux civils n’est pourtant pas négligeable. La démocratie congolaise peut-elle se passer d’institutions fortes plutôt que de recourir systématiquement aux médiations confessionnelles ?
Alors que les prochains ateliers s’annoncent décisifs avec l’implication des acteurs politiques, une question persiste : ce travail de fond sur les valeurs parviendra-t-il à infléchir les comportements prédateurs qui minent la construction nationale ? Le défi du renforcement citoyenneté RDC réside moins dans l’énonciation des principes que dans leur traduction concrète dans les pratiques gouvernantes. Le véritable test sera l’appropriation – ou le rejet – de ce cadre éthique par ceux qui détiennent réellement les leviers du pouvoir.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net