La terre tremble encore sous les pas précipités de Mama Nzuzi. Cette mère de cinq enfants a tout abandonné à Kwamouth quand les machettes ont brillé aux lueurs des cases incendiées. « Nous avons couru dans la nuit avec les cris des voisins dans les oreilles. Aujourd’hui, mes enfants dorment à même le sol dans une église de Bandundu », raconte-t-elle, les yeux rivés sur l’horizon de son village perdu. Son calvaire est partagé par 196 772 déplacés internes recensés dans quatre provinces de l’ouest congolais entre mars et avril 2025, selon le dernier tableau de bord de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Un exode massif qui transforme Kinshasa, Kwilu, Kwango et Maï-Ndombe en épicentre d’une crise humanitaire silencieuse. Dans ces 16 zones de santé couvrant 3 791 villages, le conflit intercommunautaire explique à lui seul 81% des déplacements. Les armes lourdes ne sont responsables « que » de 15% des fuites, révélant une fragmentation sociale plus dangereuse encore que les balles. Mais comment en est-on arrivé là ?
« Les retournés ont diminué de 60% depuis 2024 », précise le rapport de l’OIM. Seulement 167 499 personnes ont osé revenir vers Yumbi, Bolobo ou Mushie. La peur est ancrée dans les mémoires collectives, alimentée par trois années de terreur sous l’ère Mobondo. Cette milice, dont l’activisme ravage l’ouest congolais depuis 2022, laisse derrière elle des villages fantômes et des champs en friche. À Kwamouth, épicentre des tensions, les puits sont à sec et les centres de santé ressemblent à des coquilles vides.
Les besoins criants s’accumulent comme des blessures ouvertes : accès à l’eau potable, latrines de fortune, pénurie de médicaments et paniers vides. « Nos enfants boivent la même eau que le bétail », témoigne un ancien de Kikongo, rencontré dans un camp de fortune à Kenge. Les organisations humanitaires tirent la sonnette d’alarme : sans intervention urgente, ces déplacés internes pourraient basculer dans la malnutrition aiguë. La saison des pluies approche, menaçant de transformer les sites d’accueil en cloaques insalubres.
Derrière les chiffres implacables – 81% de déplacements dus aux haines communautaires – se cache une réalité plus sombre encore. Les opérations militaires contre les Mobondo n’ont pas suffi à ramener la sérénité. Dans les forêts du Kwango, les miliciens rôdent toujours, semant une insécurité chronique qui paralyse le retour des populations. La fragilité sécuritaire perpétue l’exode rural vers Kinshasa, où les quartiers périphériques de Nsele et Maluku croulent sous l’afflux des familles démunies.
Jusqu’où ira l’exode ? La réponse se niche peut-être dans ces 4% de déplacements attribués à « d’autres raisons » – euphémisme glaçant pour la misère économique qui pousse les paysans vers l’inconnu. Alors que la communauté internationale fixe son attention sur l’est du pays, l’ouest de la RDC sombre dans une crise oubliée où les frontières entre conflit armé et guerre sociale s’estompent. Sans solution politique aux racines des tensions intercommunautaires, les enfants de Mama Nzuzi grandiront dans l’odeur fade des déplacés.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd