Le sang des chèvres a coulé là où celui des hommes avait inondé la terre. Samedi 21 juin à Osio, à 17 kilomètres du centre de Kisangani, un silence lourd pesait sur la clairière où les Mbole et Lengola échangeaient des bêtes vivantes. « Ce sang purificateur lave notre mémoire collective », murmurait un ancien, les mains tremblantes. Trois chèvres offertes par chaque camp, symbole ultime de rachat pour les 700 vies fauchées depuis février 2023 dans ce conflit intercommunautaire qui a ensanglanté la Tshopo.
Face à face, les représentants des deux peuples ont plié le genou. « Nous présentons nos excuses pour tout ce qui s’est passé », ont-ils répété en chœur devant le Vice-Premier Ministre Jacquemin Shabani, témoin de ce moment historique. Le leader Mbole a tonné : « Nous sanctionnerons socialement, judiciairement et coutumièrement tout enfant qui osera reprendre les armes ! » Son homologue Lengola a renchéri, appelant à « restaurer d’urgence les mariages entre nos communautés » – ces unions jadis florissantes, réduites en cendres par la méfiance.
Comment en est-on arrivé là ? La question hante les ruelles de Lubunga où chaque famille pleure au moins un disparu. Les tensions latentes entre agriculteurs Lengola et chasseurs Mbole ont explosé en février 2023 sur des disputes foncières, s’envenimant par des représailles cycliques. Le bilan glaçant : des villages rasés, des écoles transformées en abris précaires, une économie locale exsangue. « Quand mon fils a été égorgé, j’ai juré vengeance. Aujourd’hui, je pleure en voyant nos ennemis d’hier devenir frères », confie Mukunda, cultivateur de 58 ans.
Ce rituel, reporté de janvier à juin pour cause d’insécurité dans l’Est, constitue l’aboutissement concret du forum pour la paix de décembre 2024. Les gardiens des coutumes ont œuvré des mois pour préparer cette cérémonie où chaque geste codifié porte un sens ancestral : l’échange des bêtes compense symboliquement les vies perdues, tandis que la plantation conjointe d’un arbre de paix scelle la renaissance. « Nos ancêtres parlent à travers ces actes. Qui oserait les trahir ? » interroge Maman Nzeba, matriarche Lengola.
La présence du VPM Shabani n’est pas anodine. Elle signale l’importance nationale de cette réconciliation dans une province minée par les conflits. Le gouvernement promet un suivi : commissions mixtes de surveillance, recensement des déplacés, et médiation foncière. Mais le vrai défi est invisible : comment reconstruire la confiance quand la peur a tissé sa toile pendant 18 mois ? Les premiers mariages intercommunautaires prévus en août seront un test crucial.
Alors que le soleil déclinait sur Osio, enfants Mbole et Lengola jouaient ensemble près des enclos vides. Ce fragile espoir, né du sang des chèvres et des larmes des aînés, pourra-t-il résister aux plaies encore vives ? La réponse viendra des champs où voisineront demain houes Lengola et sagaies Mbole, et de ces unions qui feront revivre le vieil adage tshopois : « Le sang versé ne sèche jamais, mais les mains jointes peuvent le laver ».
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd