Le continent africain vit un paradoxe démographique sans précédent : tandis que sa population affiche un âge médian de 19,7 ans, ses dirigeants frisent souvent les 80 printemps. Ce décalage abyssal, particulièrement criant en République Démocratique du Congo où Félix Tshisekedi dirige une nation dont 65% des habitants ont moins de 25 ans, soulève une question cruciale : cette fracture générationnelle RDC et africaine n’est-elle pas devenue une poudrière politique ?
Les chiffres, implacables, dessinent un continent jeune étouffé par des institutions grisonnantes. Selon la Fondation Mo Ibrahim, 60% des Africains sont nés après l’an 2000. Pourtant, l’Union interparlementaire relève que moins de 3% des parlementaires continentaux ont moins de 30 ans. En RDC, l’écart est sidérant : l’âge moyen des ministres dépasse 55 ans dans un pays où l’espérance de vie culmine à 60 ans. « Nous sommes gouvernés par des fantômes du siècle dernier », lance amèrement Josué, étudiant à Kinshasa, résumant le sentiment d’une jeunesse africaine en déshérence politique.
Les verrous institutionnels perpétuent cette exclusion. Trente-quatre constitutions africaines imposent des âges minimums pour la présidentielle, souvent supérieurs à 35 ans – un seuil que 70% des jeunes Congolais n’atteindront jamais selon les projections démographiques. Le politiste kinois Dr. Mbayo décrypte : « Ces barrières légales camouflent une peur panique des leaders vieillissants Afrique de voir leur légitimité contestée. Au Congo, l’article 72 de la constitution devient un rempart contre l’émergence de nouvelles élites ».
Cette marginalisation politique s’accompagne d’un naufrage économique. La Banque africaine de développement sonne l’alarme : 12 millions de jeunes débarquent chaque année sur un marché du travail n’offrant que 3 millions d’emplois formels. En RDC, ce déficit crée un terreau fertile pour la révolte. « Que vaut une carte d’électeur quand on survit avec moins d’un dollar par jour ? » interroge Lucie, diplômée chômeuse de Lubumbashi. Son désespoir est partagé par 83% des jeunes Congolais selon une récente étude du CRESA.
Face à cette double exclusion, la participation politique jeunes emprunte des voies détournées. Les mouvements sociaux Afrique explosent, du #EndSARS nigérian aux collectifs citoyens congolais comme LUCHA ou Filimbi. Ces mobilisations, pilotées par des activistes souvent trentenaires, utilisent les réseaux sociaux pour contourner les médias traditionnels. « Nous avons troqué les meetings contre les hashtags », explique Trésor, coordinateur d’un mouvement de protestation à Goma. Une stratégie payante : en 2023, 15 pays africains ont connu des soulèvements juvéniles documentés par l’International Crisis Group.
L’ironie est cruelle : ces régimes gérontocratiques dépendent électoralement de ceux qu’ils marginalisent. Au Sénégal, la victoire surprise de Bassirou Diomaye Faye à 44 ans révèle ce basculement. « Les vieux crocodiles ont oublié que les rivières changent de cours », philosophe un diplomate occidental à Kinshasa. La Banque mondiale prévient pourtant : ignorer cette jeunesse coûtera jusqu’à 11% de PIB annuel aux économies africaines.
Le risque d’implosion est réel. L’Afrique comptera 850 millions de jeunes d’ici 2050 – une armée de frustrés potentiels. Déjà, 56% d’entre eux jugent leurs dirigeants « très corrompus » selon Afrobarometer. « Quand on n’a rien à perdre, la rue devient le seul parlement », prévient le sociologue camerounais Achille Mbembe. La RDC, avec sa démographie galopante et ses institutions sclérosées, incarne ce péril. Les émeutes de janvier 2024 à Kinshasa, déclenchées par des lycéens contre la hausse des frais scolaires, ont donné un avant-goût de cette colère générationnelle.
Pourtant, des lueurs d’espoir percent. Le Ghana a abaissé à 18 ans l’âge minimum des députés. Au Malawi, la présidente Joyce Banda a nommé un gouvernement dont la moitié des membres avaient moins de 45 ans. « Ces exceptions confirment la règle : l’Afrique doit réinventer sa démocratie ou sombrer dans la conflictualité permanente », analyse le professeur Nkulu de l’université de Kinshasa. La solution ? Des quotas jeunes dans les instances décisionnelles, la suppression des barrières d’âge et surtout, l’intégration économique.
Le temps presse. Alors que la RDC s’apprête à tenir des élections locales, la question n’est plus de savoir si la jeunesse africaine bousculera l’ordre établi, mais quand et comment. Les leaders vieillissants Afrique parviendront-ils à canaliser cette énergie créatrice ou deviendront-ils les fossoyeurs de leurs propres régimes ? La réponse déterminera si le XXIe siècle africain sera celui de l’émergence ou de l’implosion.
Article Ecrit par Chloé Kasong