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(DOSSIER)Urbanisation explosive en Afrique : La bombe à retardement des villes sans infrastructures

Dans le marché surchargé de Makoko, bidonville flottant de Lagos, Adeola pousse sa pirogue entre les maisons sur pilotis. « Ici, on vit avec les marées et sans toilettes », confie cette vendeuse de poisson, illustrant le paradoxe de l’urbanisation Afrique : attirés par l’opportunité économique, des millions d’Africains se heurtent à des villes africaines saturées. Son témoignage résume le défi continental.

L’Afrique connaît la croissance urbaine la plus rapide de la planète, avec un taux annuel de 3,5% selon la Banque Africaine de Développement. D’ici 2050, 60% de la population africaine vivra dans des zones urbaines, soit 1,5 milliard d’habitants. Mais cette transition démographique historique se produit dans des cités où les défis infrastructurels deviennent critiques. Comment transformer cette bombe démographique en dividende économique ?

La course contre la montre démographique

Les routes de Kinshasa suffoquent aux heures de pointe. Dans cette mégapole où la population double tous les 15 ans, Jean-Claude, chauffeur de taxi-bus, témoigne : « Hier j’ai mis 4 heures pour faire 20 km. Mes passagers arrivent en retard au travail, perdent leur emploi. » Cette réalité quotidienne symbolise l’urgence. Alors que l’Afrique comptera 14 villes de plus de 10 millions d’habitants d’ici 2030, les systèmes urbains craquent de toutes parts.

Les disparités régionales sont frappantes : si l’Afrique du Nord et du Sud affichent 60% d’urbanisation, l’Afrique de l’Est plafonne à 36%. Pourtant, c’est bien dans les villes secondaires comme Ouagadougou ou Lubumbashi que la pression est la plus vive. L’exode rural, amplifié par les conflits et les dérèglements climatiques, dépasse toute capacité d’absorption. À Bamako, les nouveaux arrivants s’entassent dans des extensions anarchiques sans eau courante ni électricité.

L’infrastructure, talon d’Achille du développement

Le transport urbain cristallise les fractures. À Nairobi, seuls 22% des habitants accèdent à des transports organisés. L’expérience du Light Rail d’Addis-Abeba, premier métro subsaharien, révèle les limites des solutions pharaoniques : avec seulement 56 000 passagers quotidiens sur ses 31 km, il reste sous-utilisé faute de connexions avec les quartiers populaires. Pendant ce temps, à Harare, la prolifération de taxis informels paralyse les artères principales.

Le logement devient un casse-tête social. Comment expliquer que 44% des citadins africains vivent encore dans des bidonvilles en 2024 ? Le projet de réhabilitation de Kibera à Nairobi, bien que salué, ne résout qu’une fraction du problème. « On nous reloge dans des immeubles propres, mais les loyers triplent en deux ans », proteste Samuel, ancien habitant du plus grand slum d’Afrique. Cette gentrification spontanée exclut les plus pauvres.

L’accès à l’eau potable reste le parent pauvre des politiques urbaines. Un rapport d’ONU-Habitat révèle que 35% des citadins africains n’y ont pas accès régulièrement. À Kinshasa, les bornes-fontaines attirent des files d’attente interminables avant l’aube. Les coupures d’électricité chroniques, comme celles qui paralysent Dakar plusieurs fois par semaine, étranglent les petites entreprises.

L’émergence de leviers économiques inattendus

Malgré ces obstacles, les opportunités économiques générées par l’urbanisation africaine sont réelles. Les villes produisent déjà 55% du PIB continental selon l’OCDE. Lagos incarne cette dynamique : son écosystème tech a multiplié par 11,6 sa valorisation depuis 2017, attirant des investissements massifs dans des start-up qui révolutionnent les services financiers ou logistiques.

L’économie informelle, souvent négligée, montre une résilience remarquable. Elle emploie 80,8% des travailleurs urbains, des vendeuses de rue d’Accra – qui approvisionnent 70% de la ville en nourriture – aux réparateurs de téléphones de la rue Kinshasa. Ces micro-activités constituent un filet social vital dans l’absence de protection étatique.

L’innovation urbaine prend des formes surprenantes. À Lagos, le projet Eko Atlantic transforme l’océan en nouveau territoire urbain high-tech, combinant développement immobilier et protection côtière. Dar es Salaam a opté pour un système de bus rapides (BRT) transportant 160 000 passagers quotidiens sur des couloirs dédiés, réduisant les temps de trajet de 60%.

La gouvernance urbaine, clé de la transformation

Le récent Forum Africités à Nairobi a sonné l’alarme : sans financements innovants, l’effondrement urbain guette. Le Plan d’action pour le financement vert des villes vise à canaliser les investissements vers des infrastructures résilientes. Des initiatives comme les ceintures maraîchères périurbaines de Dakar ou les toits solaires de Johannesburg montrent la voie.

L’autonomisation des femmes apparaît comme un levier sous-estimé. À Kampala, les fintechs conçues par des entrepreneures locales bancarisent des milliers de commerçantes informelles. « Mon application mobile m’a permis de tripler mon fonds de commerce sans quitter mon quartier », témoigne Fatou, vendeuse de tissus en périphérie de la capitale ougandaise.

Mais la course contre la montre est engagée. Alors que les besoins en investissements infrastructurels sont estimés à 170 milliards de dollars annuels, seuls 45 milliards sont mobilisés. Les solutions existent, de la densification maîtrisée à la valorisation des transports non-motorisés. Reste à les adapter à la réalité africaine, loin des modèles occidentaux inopérants.

L’enjeu dépasse la simple modernisation. Il s’agit d’inventer un nouveau modèle de ville africaine : inclusive, sobre en ressources, et tirant parti du dynamisme entrepreneurial de sa jeunesse. Comme le résume un urbaniste dakarois : « Nos villes sont des chantiers permanents, mais c’est dans ce chaos créatif que se forge l’Afrique de demain. » La métamorphose urbaine pourrait bien être le chapitre décisif du développement continental.

Article Ecrit par Chloé Kasong

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Chloé Kasong
Chloé Kasong
Issue de Kinshasa, Chloé Kasong est une analyste rigoureuse des enjeux politiques et sociaux de la RDC. Spécialisée dans la couverture des élections, elle décortique pour vous l’actualité politique avec impartialité, tout en explorant les mouvements sociaux qui façonnent la société congolaise. Sa précision et son engagement font d'elle une voix incontournable sur les grandes questions sociétales.
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