L’audition du vice-Premier ministre, ministre de l’Intérieur Jacquemain Shabani, jeudi 22 mai à l’Assemblée nationale, a jeté une lumière crue sur les dysfonctionnements persistants au sein de la Police nationale congolaise. Face aux députés, le ministre a été interpellé sur les bavures policières à Kinshasa, les arrestations arbitraires et la présence supposée d’éléments fictifs dans les rangs des forces de l’ordre. Un exercice de transparence qui, derrière les promesses de réforme, révèle les tensions d’un système en quête de légitimité.
Le député Eyanga Mboyo Venance, à l’origine de la question orale, a dépeint un tableau alarmant : tortures, tirs à balles réelles injustifiés, tracasseries quotidiennes. « Comment des agents censés incarner l’autorité de l’État peuvent-ils en devenir les fossoyeurs ? », interroge implicitement l’élu, soulignant la contradiction entre la mission protectrice de la police et ses dérives récurrentes. Ces pratiques, selon lui, « sapent les fondements de l’État de droit » que la RDC prétend construire.
En réponse, Jacquemain Shabani a joué la carte du pragmatisme réformateur. Le ministre a brandi le projet de loi sur la réforme de la police comme un talisman contre les dérives, évoquant des « contrôles inopinés » et des sanctions contre les éléments fautifs. Mais derrière le discours institutionnel se devine l’urgence d’une situation explosive : la capitale congolaise, théâtre de violences policières répétées, cristallise un malaise sécuritaire qui dépasse le simple cadre disciplinaire.
La question des effectifs fictifs, véritable serpent de mer administratif, ajoute une dimension systémique au scandale. Ces « fantômes en uniforme », selon l’expression courante dans les couloirs du pouvoir, symbolisent à la fois la gabegie financière et la perte de contrôle de l’appareil d’État. Le ministre s’est bien gardé de fournir des chiffres précis, préférant s’abriter derrière le processus législatif en cours.
Cette audition intervient dans un contexte politique sensible, où la réforme de la police nationale congolaise apparaît comme le dernier rempart contre une défiance populaire grandissante. Les arrestations arbitraires à Kinshasa, documentées par plusieurs ONG, ont transformé certains quartiers en zones de non-droit où la peur des citoyens rivalise avec celle des délinquants. « La police doit-elle se réformer pour survivre à elle-même ? », questionnent en coulisse des observateurs sceptiques.
Si Shabani a promis un « nettoyage en profondeur », les députés attendent désormais des actes concrets. Le calendrier parlementaire, avec l’examen imminent du projet de loi, constituera un premier test. Mais l’histoire récente de la RDC regorge de réformes avortées : la présente initiative parviendra-t-elle à éviter le cimetière des bonnes intentions ?
En filigrane, c’est toute la crédibilité du gouvernement qui se joue dans ce dossier. Les récentes bavures policières ne sont pas seulement des fautes professionnelles : elles alimentent un récit délétère pour le pouvoir, accusé de tolérer l’intolérable. La réponse pénale promise par le ministre suffira-t-elle à restaurer la confiance, ou faudra-t-il imaginer des mécanismes de contrôle plus audacieux ?
Les prochaines semaines s’annoncent décisives. Entre les exigences des bailleurs de fonds internationaux et la pression d’une population exaspérée, Jacquemain Shabani devra transformer ses déclarations d’intention en résultats tangibles. Gageons que l’Assemblée nationale, par son pouvoir de suivi législatif, saura maintenir le cap d’une réforme dont l’échec pourrait bien se muer en bombe à retardement politique.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
