Le Sénat de la République Démocratique du Congo (RDC) se trouve au cœur d’une procédure judiciaire historique. Jeudi 15 mai, les sénateurs ont entamé l’examen d’un réquisitoire déposé par l’auditeur général près la Haute Cour militaire, réclamant la levée de l’immunité parlementaire de Joseph Kabila Kabange, sénateur à vie et ancien président de la République. Une commission spéciale a été constituée en huis clos pour analyser le dossier sous 72 heures, marquant ainsi une étape cruciale dans ce qui pourrait devenir un procès sans précédent.
Selon les précisions du procureur militaire, les accusations ne visent pas l’ancien chef de l’État en fonction de son mandat passé, mais bien son statut actuel de sénateur. Le réquisitoire s’appuie sur des éléments accablants, dont des déclarations d’un ancien conseiller de Corneille Nangaa, chef de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), coalition associée au mouvement rebelle M23. Ces révélations mettent en lumière un soutien présumé de Joseph Kabila aux actions militaires du M23 dans l’Est du pays, région en proie à des violences depuis 2022.
Comment une telle accusation pourrait-elle résister à l’examen des preuves ? Le dossier évoque notamment le bombardement meurtrier d’un site de déplacés à Goma en mai 2024, ainsi que l’occupation de la ville par des militaires rwandais en janvier 2025. Des actes de pillage, des violences sexuelles et des destructions massives sont également imputés à la rébellion, avec en filigrane l’hypothèse d’un appui logistique ou politique de l’ancien président.
Le Sunday Times du 23 février 2025 aurait publié des propos attribués à Joseph Kabila, dans lesquels il qualifie l’AFC/M23 de « représentant des aspirations du peuple congolais ». Ces déclarations, couplées à son intention annoncée de revenir en RDC via des zones sous contrôle rebelle, sont interprétées par la justice comme une adhésion au projet insurrectionnel. Le témoignage d’Éric Nkuba Shebandu, ancien collaborateur de Nangaa condamné à mort, vient étayer l’accusation. Selon lui, une rencontre à Kampala en mai 2023 aurait scellé une stratégie de déstabilisation du président Tshisekedi, évitant son assassinat au profit d’une chute politique orchestrée.
Sur le plan juridique, quatre chefs d’accusation structurent le réquisitoire : participation à un mouvement insurrectionnel, trahison pour collusion avec le Rwanda, complicité de crimes de guerre, et violation du devoir de réserve. Les sénateurs divisés sur la suite à donner – certains exigeant un vote en Congrès selon l’article 224 du règlement intérieur – laissent planer un suspense institutionnel. La commission spéciale devra trancher ce débat procédural tout en évaluant la solidité des charges.
Si la levée d’immunité est actée, Joseph Kabila deviendrait le premier ancien président congolais poursuivi pour trahison et crimes de guerre. Une décision qui refléterait une inflexion majeure dans la gestion judiciaire des hautes responsabilités en RDC, tout en posant une question cruciale : jusqu’où peut s’étendre la reddition des comptes dans un pays en quête de justice transitionnelle ?
Article Ecrit par Cédric Botela
Source: Actualite.cd