Au cœur du Salon International du Livre d’Abidjan 2025, où les mots dansent entre les stands colorés et les murmures polyglottes, les Éditions Mlimani ont tracé une voie audacieuse. Portée par la conviction de Ghislain Kabuyaya, leur coordinateur national, la maison d’édition congolaise a insufflé dans les débats une question brûlante : et si la survie des langues africaines passait par l’encre des romans et la trame des poèmes ?
Lors d’une table ronde sur « Éditer et Écrire en langues nationales », Kabuyaya a déployé une argumentation aussi vibrante qu’un tambour de guerre. « Comment transmettre notre patrimoine linguistique si nos récits naissent dans le moule des langues coloniales ? », interroge-t-il, rappelant que chaque manuscrit en lingala ou en swahili est un acte de résistance. Une provocation salutaire dans un paysage éditorial africain où le français reste roi, malgré les ombres portées de l’histoire.
Le SILA 2025 aura été pour Mlimani une fenêtre ouverte sur les défis et les convoitises du marché international. Entre les allées où s’entremêlent les accents ivoiriens et congolais, la maison a semé les graines de collaborations futures. Des droits achetés ici pour des albums jeunesse malgaches, des promesses d’échanges là avec des éditeurs sénégalais : autant de passerelles jetées au-dessus des frontières. « La littérature jeunesse doit devenir notre priorité », confie Kabuyaya, évoquant ce créneau encore timide en RDC où les contes oraux attendent leur transfiguration papier.
Parmi les trésors exposés, « Les femmes de Pakadjuma » d’Ange Kasongo a suscité des convoitises, preuve que les récits ancrés dans le terreau congolais résonnent bien au-delà des Grands Lacs. Un succès qui n’étonne guère : le roman, tissé de luttes féminines et de paysages volcaniques, porte en lui la saveur âpre et douce du Kivu. À travers son catalogue, Mlimani esquisse une cartographie littéraire où Goma n’est plus seulement une ville meurtrie, mais un foyer créatif en ébullition.
Mais comment concilier enracinement et ouverture ? La réponse de Kabuyaya fuse, tranchante comme une machette dans la brousse éditoriale : « Publier Ngugi wa Thiong’o en version originale, ressusciter les classiques oubliés de la littérature congolaise, voilà notre combat ». Un manifeste qui résonne avec le thème du salon – « Livre racine » – appelant à une décolonisation des imaginaires. Et si les traumatismes de l’histoire ne se surmontaient qu’en réécrivant collectivement le récit africain ?
De retour à Goma, Mlimani porte dans ses valises des projets qui sentent l’avenir. Un sous-catalogue jeunesse prêt à éclore, des partenariats avec des distributeurs internationaux, et surtout cette certitude : la littérature congolaise, lorsqu’elle ose puiser dans ses propres veines linguistiques et culturelles, peut danser sur la scène mondiale sans complexe. Comme le prophétise le titre du prochain ouvrage annoncé, « J’irai danser sur la tombe de Senghor », l’heure est venue d’un nouveau pas de deux entre héritage et renaissance.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd
