Dans un tourbillon d’arômes épicés et de feuilles de bananier frémissantes, le mot « Liboke » traverse les frontières pour s’ancrer dans le marbre lexical français. Son entrée dans le Petit Larousse 2026 résonne comme un hommage à la vitalité d’une culture congolaise qui, depuis des décennies, infuse ses saveurs et ses mots dans le creuset mondial. Une consécration qui soulève autant de fierté que de questions sur les mécanismes invisibles de la reconnaissance linguistique.
Issu du lingala, ce terme désigne bien plus qu’un plat cuit à l’étouffé : c’est un récit enveloppé de feuilles, une métaphore des liens entre terre et identité. « Le Liboke voyage dans les livres avant d’atterrir dans les dictionnaires », souligne Yann Kheme, linguiste à l’ISP/Gombe. Sa trajectoire épouse celle des artistes congolais qui, de la rumba aux romans, ont transformé ce mot en ambassadeur clandestin.
Pourtant, derrière cette célébration se cachent des tensions palpables. Edimo Lumbidi, enseignant de lingala, rappelle d’une voix ferme : « Intégrer Liboke n’est pas une faveur, c’un droit. Les langues s’enrichissent mutuellement depuis toujours ». Un plaidoyer pour une réciprocité longtemps absente dans les échanges entre le français et les langues africaines. La cuisine RDC s’internationalise, mais à quel prix ?
Le débat dépasse la simple gastronomie. Quand Yann Kheme interroge l’absence de la « Congolexicomatisation » – expression virale née en RDC –, il pointe un paradoxe : les dictionnaires sacraliseraient-ils seulement ce qui flatte le palais occidental ? La reconnaissance des emprunts linguistiques d’Afrique reste-t-elle conditionnée à leur exotisme comestible ?
Reste que cette consécration agit comme un révélateur. Chaque feuille de bananier dépliée dans le Larousse dégage les parfums d’un Congo résilient, capable d’imposer ses codes dans l’arène culturelle globale. « Le Liboke n’a pas attendu Paris pour exister », rappelle un chef kinois, soulignant comment la street food congolaise a fait de ce plat un manifeste quotidien.
Au-delà des cuisines, c’est toute une sémantique qui s’émancipé. Car Liboke puise ses racines dans les « maboke », ces troupes théâtrales ambulantes qui incarnent l’art populaire congolais. Réduire ce mot à sa dimension culinaire reviendrait à oublier qu’il charrie avec lui l’histoire des marchés de Kinshasa, des rires partagés sous les manguiers, des luttes politiques camouflées en chansons.
La leçon est claire : l’entrée du Liboke dans le dictionnaire français n’est pas un aboutissement, mais un point de départ. Elle invite à repenser les hiérarchies linguistiques dans un monde où le lingala compte 45 millions de locuteurs. Et si la prochaine révolution lexicale venait des rives du fleuve Congo ?
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd