La ville de Goma, habituellement vibrante de ses terrasses animées, traverse une crise brassicole sans précédent. Les étals vides et les prix exorbitants dessinent les contours d’une pénurie multifactorielle, symptôme des défis économiques et sécuritaires qui secouent la région. Une bouteille de Primus à 8 000 FC, soit vingt fois son prix habituel : comment expliquer cette flambée ?
Les racines du problème plongent dans les événements de février 2024. Le pillage des entrepôts de la Bralima à Bukavu par les rebelles du M23 a amputé 40% des stocks régionaux selon des sources industrielles. « Cette attaque a paralysé notre chaîne logistique », confie sous anonymat un cadre du secteur, évoquant des pertes évaluées à plusieurs millions de dollars.
À cette insécurité s’ajoute la fermeture chronique des axes routiers vers le Nord-Kivu. Seulement 12% des livraisons habituelles atteignent Goma, selon les transporteurs locaux. Résultat : un marché dominé par la spéculation. « Certains revendeurs stockisent les dernières bouteilles pour créer une rareté artificielle », dénonce un économiste de l’Université de Goma, pointant des marges bénéficiaires dépassant 300%.
Les conséquences socio-économiques sont palpables. Les débits de boissons enregistrent une baisse moyenne de 65% de leur chiffre d’affaires. « Mes clients préfèrent rester chez eux plutôt que de payer une bière au prix d’un repas », explique Maman Kulutu, tenancière au quartier Himbi. Une hémorragie financière qui touche toute la filière, des serveurs aux fournisseurs de cacahuètes grillées.
Dans ce paysage désolé, les bières rwandaises – Tiger, Virunga Mist ou Urwagwa – capturent 35% du marché selon des estimations commerciales. Mais leur disponibilité reste tributaire d’un circuit opaque. « L’importation nécessite des liquidités en dollars et des connexions politiques », révèle un grossiste sous couvert d’anonymat. Une dépendance qui inquiète les autorités sanitaires, certaines marques échappant aux contrôles qualité.
Les associations de consommateurs tirent la sonnette d’alarme. « Cette crise révèle la vulnérabilité de notre approvisionnement », analyse Jean-Baptiste Kasekwa, président de l’Observatoire congolais des prix. Elles réclament un plan d’urgence associant sécurisation des routes, contrôle des prix et soutien aux brasseries locales.
À l’horizon, la relance de la Bralima à Beni suscite un espoir timide. L’usine tourne actuellement à 30% de sa capacité, selon des sources internes. Mais le retour à la normale dépendra de la pacification du corridor Goma-Beni et d’investissements massifs dans les infrastructures. En attendant, les Gomatraciens apprennent à déguster leur sobriété… ou à découvrir les saveurs voisines.
Article Ecrit par Amissi G
Source: radiookapi.net