L’élection du cardinal Robert Francis Prevost au siège de Pierre, sous le nom de Léon XIV, marque un tournant dans l’histoire de l’Église catholique. Premier pape américain, cet augustinien au parcours transnational incarne à la fois la continuité des réformes du pape François et une nouvelle ère de gouvernance ecclésiale. Pour le public congolais, dont la foi catholique constitue un pilier socioculturel, comprendre les enjeux de ce pontificat nécessite une plongée approfondie dans la trajectoire, les convictions et les défis de ce pape atypique.
Un Parcours Transnational : De Chicago aux Andes
Formation et Engagement Missionnaire
Né à Chicago en 1955, Robert Francis Prevost intègre l’Ordre de Saint-Augustin en 1977, où il obtient une licence en théologie et un diplôme en mathématiques. Ordonné prêtre en 1982, il est envoyé deux ans plus tard au Pérou, un pays alors en proie à l’instabilité politique et à la pauvreté. Son immersion dans le diocèse de Chulucanas (1985-1986) comme chancelier et vicaire de la cathédrale forge sa vision d’une Église ancrée dans les réalités locales. Cette expérience le marque profondément : il y fonde une paroisse, enseigne le droit canonique, et participe à la formation des séminaristes, consolidant une approche pastorale centrée sur l’éducation et l’autonomie des communautés.
Leadership en Temps de Crise
De retour au Pérou en 1988 pour onze années supplémentaires, Prevost cumule les rôles : curé, juge ecclésiastique, recteur de séminaire. Son mandat coïncide avec une période de turbulence politique, notamment sous les présidences de Alberto Fujimori. En 2015, devenu évêque de Chiclayo, il joue un rôle clé dans la médiation des crises successives ayant conduit aux chutes des présidents Kuczynski (2018), Vizcarra (2020) et Castillo (2022). Son dialogue avec Pedro Castillo, peu avant son arrestation, illustre sa volonté de promouvoir la paix via le dialogue, une compétence cruciale pour des contextes fragiles comme la RDC.
Théologie et Gouvernance : Entre Réforme et Tradition
Synodalité et Collégialité
Nommé préfet du Dicastère pour les Évêques en 2023, Prevost hérite d’un rôle stratégique : superviser les nominations épiscopales dans l’hémisphère Nord. Proche de François, il défend une vision synodale de l’Église, qu’il décrit comme un « antidote à la polarisation ». Pour lui, l’écoute des fidèles et la collégialité sont des leviers pour renouveler la gouvernance ecclésiale, une perspective susceptible de renforcer la participation des Églises africaines, souvent perçues comme marginalisées.
Questions Morales : Un Équilibre Délicat
Léon XIV incarne une ligne doctrinale nuancée. S’il soutient l’accès des divorcés remariés à la communion – une position héritée de François –, il exprime des réserves sur les bénédictions des couples homosexuels, craignant une « contradiction avec l’Évangile ». En 2012, il critique une culture occidentale qu’il juge individualiste, soulignant la nécessité de préserver « l’unité de la famille ». Ces prises de position pourraient influencer les débats en RDC et en Afrique en général, où les questions LGBTQ+ divisent l’opinion publique.
Engagement envers les Migrants et les Pauvres
Son discours sur les migrants tranche avec les politiques restrictives de certains leaders occidentaux comme Donald Trump. En février 2025, il s’oppose publiquement au vice-président américain J.D. Vance, affirmant que « Jésus ne nous demande pas de hiérarchiser notre amour ». Cette défense des sans-papiers, couplée à son expérience péruvienne, laisse entrevoir un plaidoyer renforcé pour les droits des déplacés congolais, notamment dans l’est du pays en proie aux conflits.
Controverses et Défis Institutionnels
Gestion des Abus Sexuels : Une Ombre au Tableau
Bien que salué pour son intégrité, Prevost est éclaboussé par des critiques concernant sa gestion des dossiers d’abus sexuels au Pérou. Alors qu’il était archevêque de Chiclayo, des victimes auraient dénoncé une lenteur dans les enquêtes visant des prêtres accusés. Si le diocèse affirme avoir suivi les procédures canoniques, ces allégations rappellent les défis de transparence auxquels l’Église congolaise est également confrontée.
Réforme de la Curie : Un Héritage à Poursuivre
Le nouveau pape hérite d’une Curie romaine en pleine mutation. Son prédécesseur, François, avait initié des réformes pour décentraliser le pouvoir, notamment via Praedicate Evangelium (2022). Prevost, en tant que préfet des Évêques, a contribué à cette dynamique en favorisant des nominations diversifiées. Cependant, son manque d’expérience dans l’appareil curial romain – contrairement à des cardinaux comme Parolin – pourrait compliquer la mise en œuvre de nouvelles réformes.
Implications pour l’Afrique et la RDC
Nominations Épiscopales et Autonomie des Églises Locales
La RDC, où 35% de la population est catholique, attend une reconnaissance accrue de ses leaders religieux. Prevost, ayant œuvré pour inclure des évêques issus du Sud au sein du Dicastère, pourrait favoriser l’émergence de figures congolaises dans les instances décisionnelles romaines. Cette approche renforcerait l’autonomie pastorale face aux défis locaux (pauvreté, conflits armés, exploitation minière).
Paix et Réconciliation Nationale
L’est de la RDC, en proie à des violences chroniques, nécessite une Église médiatrice. L’expérience de Prevost dans la résolution des crises péruviennes pourrait inspirer des initiatives similaires, via des dialogues intercommunautaires ou des plaidoyers internationaux. Son appel à « construire des ponts » résonne particulièrement dans un pays où l’Église a historiquement joué un rôle de pacificateur.
Développement Intégral et Justice Sociale
L’encyclique Fratelli Tutti de François, centrée sur la fraternité universelle, trouve un écho dans la vision de Léon XIV. Celui-ci insiste sur la nécessité d’une « Église pauvre pour les pauvres », un mantra pertinent pour la RDC, où 73% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Les diocèses congolais pourraient bénéficier d’un soutien accru pour leurs programmes éducatifs et sanitaires, domaines où Prevost a marqué son passage au Pérou.
Perspectives Théologiques et Dialogues Interreligieux
Inculturation de la Foi
L’expérience multiculturelle de Prevost – il possède la double nationalité américano-péruvienne – le prédispose à valoriser l’inculturation, un enjeu majeur en Afrique. Son approche pourrait légitimer les pratiques liturgiques congolaises mêlant traditions locales et christianisme, à l’instar des rites kimbanguistes réinterprétés.
Dialogue avec l’Islam et les Églises Protestantes
Dans un contexte congolais marqué par la coexistence islamo-chrétienne, la capacité de Prevost à dialoguer avec d’autres confessions sera cruciale. Au Pérou, il a collaboré avec des leaders évangéliques pour résoudre des crises sociales. Cette ouverture pourrait faciliter des partenariats interreligieux contre l’extrémisme.
Conclusion : Un Pontificat sous le Signe du Dialogue et des Défis
Léon XIV incarne une Église à la croisée des chemins : enracinée dans la doctrine mais ouverte aux périphéries, soucieuse de justice sociale mais confrontée à des divisions internes. Pour la RDC, son pontificat pourrait marquer une ère de renforcement des structures ecclésiales locales, de promotion de la paix et de plaidoyer international contre les injustices économiques. Cependant, sa gestion des dossiers sensibles (abus sexuels, inclusion LGBTQ+) exigera une finesse pastorale afin de préserver l’unité d’une Congolaise et Africaine en général à la fois dynamique et fragilisée par les crises socio-politiques.
La devise de Prevost, « In Illo uno unum » (dans Celui qui est Un, être unis), résume sa vision : une Église humble, audacieuse dans son engagement pour les plus vulnérables, mais ferme dans sa quête de vérité. Les années à venir révéleront si ce pape atypique saura guider le navire de Pierre à travers les tempêtes du XXIe siècle, pour les Congolais Catholiques et pour le monde.
