Dans les églises de Kinshasa, l’air est chargé d’une attente vibrante. Alors que les cardinaux entrent en conclave au Vatican, les fidèles congolais, surtout des femmes, scrutent l’horizon avec un espoir teinté d’urgence. « Pourquoi pas un pape africain ? », lance Sandrine Mwela, les mains jointes devant la paroisse Notre-Dame de la Sagesse. Sa question, loin d’être isolée, résonne comme un défi lancé à des siècles de tradition.
Les murs des sanctuaires kinois deviennent alors les caisses de résonance d’une aspiration continentale. Melissa Kiama, éducatrice à Reine des Apôtres, martèle : « Nous portons l’Église à bout de bras. Mais quand vient l’heure des décisions, on nous assigne au silence. » Dans son regard, une lassitude qui interroge : jusqu’à quand l’institution ignorera-t-elle la moitié de son troupeau ?
Le nom du cardinal Fridolin Ambongo surgit dans chaque conversation comme une réponse possible. Archevêque de Kinshasa connu pour son franc-parler, il incarne aux yeux de nombreux Congolais le pont entre deux mondes. « Il a marché avec nous pendant les crises, il connaît le prix du sang versé », souligne Monique Kasake, dont la voix tremble en évoquant les manifestations réprimées.
Une attente qui dépasse les frontières
Dans le dédale des rues de Matonge, Bernadette Masiala résume l’enjeu : « Nous ne voulons pas un pape superstar, mais un berger qui sent encore l’odeur des brebis. » La métaphore frappe : ici, où la foi se mêle quotidiennement à la lutte pour l’eau potable et l’accès aux soins, le spirituel ne peut faire abstraction du terrestre.
Sarah Palata, rencontrée devant la cathédrale Saint François de Sales, radicalise le propos : « Si l’Église reste neutre face aux massacres dans l’Est du pays, elle trahit l’Évangile. » Sa colère pointe un paradoxe : comment une institution universelle pourrait-elle rester sourde aux cris d’un continent qui comptera bientôt un tiers des catholiques mondiaux ?
Le spectre de Frère Bemba
Les souvenirs de la visite du pape François en 2023 resurgissent dans les discours. « Quand il a embrassé notre sol, nous avons cru à un nouveau départ », soupire Blandine Nehema, religieuse. Mais depuis, l’espoir a cédé la place à une désillusion nourrie par la persistance des violences. Et si l’élection d’un pape africain pouvait inverser cette dynamique ?
La question agite les groupes de prière féminins. « L’Église doit choisir : être un musée ou un hôpital de campagne », assène Maman Nelly, coordonnatrice de la Ligue des femmes catholiques. Son combat ? Voir des religieuses au gouvernement du Vatican. « Les hommes ont eu 2000 ans pour montrer ce qu’ils savent faire. Maintenant, laissez les femmes participer ! »
Ambongo, symbole d’une Église enracinée
Les soutiens au cardinal congolais insistent sur son ancrage local. « Il a fermé les églises qui soutenaient les milices », rappelle un catéchiste de la paroisse Saint-Raphaël. Un acte courageux dans un pays où le religieux et le politique s’entremêlent dangereusement.
Pourtant, l’enjeu dépasse la personne d’Ambongo. Comme le note finement le père Marcel, professeur de théologie : « Ce qui se joue, c’est la capacité de l’Église à devenir polyphonique. L’Afrique n’a plus besoin de maîtres à penser, mais de partenaires à écouter. »
Alors que Rome vit au rythme des fumées blanches, Kinshasa retient son souffle. Les femmes continuent de prier, mais aussi d’espérer. Pas seulement pour un titre honorifique, mais pour une révolution silencieuse qui verrait enfin l’Église épouser les contours d’un monde multiple. Car comme le chuchote une jeune étudiante devant la statue de Marie : « Jésus est né en Afrique… En Égypte. » Un rappel historique qui sonne comme un manifeste.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd