Dans l’effervescence créative de Kinshasa, où l’art pulse au rythme des tambours et des rêves, la 39ᵉ édition des Journées congolaises de théâtre pour et par l’enfance et la jeunesse (JOUCOTEJ) s’installe comme un phare culturel. Du 7 au 10 mai, le Centre culturel et artistique pour les pays de l’Afrique centrale, niché dans la commune de N’djili, devient l’épicentre d’une métamorphose scénique. Sous l’impulsion de la Compagnie Théâtre des Intrigants (CTI), cette édition, portée par le thème « Égalité entre les sexes », déploie ses ailes comme un manifeste vivant.
La salle, vaste écrin de 800 places, vibre déjà des répétitions fiévreuses. Sur les planches, « Le Diplômé fatigué » ouvre le bal, pièce miroir qui interroge les fractures sociales avec une ironie mordante. Mais au-delà de ce spectacle inaugural, c’est une mosaïque de voix juvéniles qui prend forme. Les élèves du Lycée Sainte-Thérèse Verzeri, des Complexes scolaires Maman Diakiese et Lisanga Bokeleale, ainsi que les enfants de l’Orphelinat Carlino, tissent ensemble un dialogue théâtral où chaque geste devient parole, chaque silence, revendication.
Valentin Mitendo, directeur artistique des Intrigants et architecte de cette édition, décrypte l’ADN du festival : « Ici, la scène n’est pas un luxe, mais une chaire où la jeunesse congolaise prêche ses utopies. Les ODD ne sont plus des acronymes lointains, mais des personnages que nos jeunes incarnent chair et âme. » Sa voix, capturée dans un enregistrement qui circule comme une parabole moderne, résonne d’une conviction trempée dans les réalités du terrain.
Quel rôle le théâtre peut-il jouer dans la construction d’une société plus équitable ? Les réponses fusent dans les coulisses. Une adolescente, costumée en juge traditionnel, répète une tirade sur l’accès des filles à l’éducation. Plus loin, un duo d’acteurs explore les stéréotypes genrés à travers une chorégraphie où les rôles s’inversent au rythme des percussions. Le thème de l’égalité, loin d’être un slogan, devient ici une partition à interpréter avec le corps et l’esprit.
Dans ce laboratoire vivant, les frontières entre spectacle et éducation s’estompent. Les ateliers – véritables ruches pédagogiques – voient naître des saynètes où des enfants de 10 ans négocient des scénarios sur le partage des tâches domestiques. « Le théâtre est notre école parallèle », confie un enseignant du complexe Lisanga Bokeleale, dont les élèves ont transformé un cours de civisme en performance interactive.
L’impact de ces journées dépasse le frémissement des rideaux. Chaque soir, des discussions enflammées animent le parvis du centre culturel. Des parents, d’abord venus applaudir leur progéniture, débattent de la représentation des femmes dans les contes traditionnels. Une grand-mère, émue aux larmes par une pièce sur le mariage précoce, serre contre elle sa petite-fille actrice : « Ces enfants nous montrent le chemin », murmure-t-elle.
Alors que Kinshasa bruisse de ces échos, le festival s’achève sur une promesse : celle d’une relève artistique qui porte en elle les germes d’un Congo nouveau. Dans l’obscurité de la salle vide, persiste l’énergie de ceux qui, le temps d’un festival, ont fait du théâtre un acte politique – tendre, urgent, nécessaire.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: radiookapi.net