Dans le quartier populaire de Bisengo, commune de Bandalungwa, le cauchemar hydrique se répète nuit après nuit. « L’eau envahit nos lits, nos marmites, jusqu’à nos papiers importants. On dort debout comme des flamants roses », raconte Mama Sophie, les pieds plongés dans une eau brunâtre devant sa maison fissurée. Comme des centaines de familles kinoises, elle affronte depuis le 1er mai les conséquences des pluies diluviennes qui transforment les artères de Kinshasa en véritables fleuves de détresse.
Les avenues Kasa-Vubu, Swala et Munza offrent un spectacle de désolation. Entre le Centre Médical CBCO et le bloc commercial, des familles entassent matelas et ustensiles de cuisine sur des structures de fortune. Les eaux stagnantes charrient déchets ménagers et résidus de construction, créant un cocktail nauséabond qui inquiète les médecins du quartier. « La semaine dernière, trois enfants ont été hospitalisés pour des infections cutanées », révèle un infirmier sous couvert d’anonymat.
Le drame puise ses racines dans un problème récurrent : l’engorgement chronique des caniveaux. « Regardez cette canalisation ! », s’indigne un jeune habitant en soulevant une plaque d’égout rouillée. Sous nos yeux, un amas de sachets plastique, de bouteilles et de détritus forme une barrière imperméable. Ces véritables bombes à retardement transforment chaque averse en catastrophe annoncée.
« Les autorités nous traitent comme des poissons ! Ils attendent qu’on apprenne à respirer sous l’eau ? », lance amèrement Julienne, mère de quatre enfants. Son témoignage cristallise la colère sourde qui gronde dans le quartier. Beaucoup dénoncent l’abandon des décharges publiques et l’absence de politique de gestion des déchets. Comment expliquer que dans la capitale congolaise, les canalisations deviennent des dépotoirs à ciel ouvert ?
Les conséquences dépassent largement le cadre matériel. À l’école primaire de la place, les cours sont interrompus depuis une semaine. « L’humidité a fait pourrir nos manuels scolaires », déplore une fillette de 10 ans, montrant ses bras couverts de boutons. Les commerçants ne sont pas épargnés : « Mes stocks de farine ont pris l’eau. Maintenant je vends à perte », confie un boulanger les yeux rougis par les nuits blanches.
Cette crise met en lumière un paradoxe kinois : une ville traversée par le puissant fleuve Congo, mais où l’eau devient ennemi public numéro un dès les premières pluies. Les experts pointent du doigt l’urbanisation anarchique et le manque d’investissement dans les infrastructures de base. « Le problème n’est pas météorologique, il est politique », assène un sociologue contacté par nos soins. « Bandalungwa paie aujourd’hui des décennies de mauvaise gouvernance urbaine. »
Alors que la saison des pluies s’installe, la question brûle toutes les lèvres : jusqu’à quand les habitants devront-ils improviser des digues avec des sacs de sable et des planches de bois ? Les appels à l’aide lancés aux autorités municipales restent pour l’heure sans réponse tangible. Dans l’ombre des immeubles décrépis, une nouvelle génération grandit les pieds dans l’eau, le regard tourné vers un avenir incertain. Cette crise du quotidien pourrait-elle sonner le réveil des consciences ? L’urgence exige plus que des promesses : un plan Marshall pour les caniveaux et une vraie politique de prévention. Le temps presse avant que les eaux de la colère ne débordent.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net