« Chaque matin, je me lève à 4 heures pour nettoyer un magasin indien. En cinq ans, mon salaire n’a jamais atteint les 200 000 francs congolais [100$]. Pourtant, je dois nourrir mes trois enfants. » La voix tremblante de Lucie*, vendeuse dans un commerce de la commune de la Gombe, résume l’impasse dans laquelle se débattent des milliers de travailleurs congolais. Un paradoxe criant à l’heure où le ministre de l’Emploi vante une « stratégie nationale pour le plein emploi ».
À l’occasion du 1er mai, Ephraim Akwakwa a appelé à la « résilience » face aux défis du marché du travail. Mais sur le terrain, le mot sonne comme une provocation. Dans les artères commerciales de Kinshasa, les employés des magasins indopakistanais et libanais dénoncent une réalité implacable : seuls 12% d’entre eux perçoivent le Salaire Minimum Garanti (SMIG) fixé à 268 416 FC (108$).
« Comment parler de résilience quand les contrats de travail restent fictifs ? », interroge un syndicaliste sous couvert d’anonymat. Les promesses de redynamisation des institutions publiques et de financement de l’entrepreneuriat local peinent à convaincre. Entre 2021 et 2023, le taux de chômage officiel stagne à 4,5%, un chiffre contesté par les économistes indépendants qui l’estiment plutôt à 75% en incluant le secteur informel.
« Nous avons mis en place des mesures correctives pour que les Congolais disposent de contrats de travail », assure le ministre Akwakwa lors de son passage sur Radio Okapi. Une déclaration qui fait sourciller les observateurs. À ce jour, aucune sanction n’a été rendue publique contre les employeurs étrangers récalcitrants.
Le programme de développement de la classe moyenne, présenté comme une priorité gouvernementale, bute sur un obstacle majeur : l’inflation galopante. Le panier de la ménagère a bondi de 47% en un an, réduisant à néant les effets théoriques des politiques d’emploi. Dans ce contexte, les travailleurs comme Lucie développent des stratégies de survie : jobs informels, troc, ou exode vers l’agriculture de subsistance.
La réforme du secteur commercial, annoncée en grande pompe, se heurte à des intérêts puissants. Les investisseurs asiatiques et moyen-orientaux contrôleraient près de 68% des commerces de détail à Kinshasa selon une étude récente de la FEC. Une emprise économique qui complique l’application du code du travail, comme le reconnaît discrètement un fonctionnaire du ministère : « Certains employeurs menacent de délocaliser leurs activités si on les force à respecter le SMIG ».
Derrière les beaux discours sur l’entrepreneuriat se cache une amère réalité : seuls 3% des crédits aux PME bénéficient aux jeunes créateurs locaux. « Les banques exigent des garanties impossibles », déplore Marcelin Ntumba, coiffeur-transformé-en-vendeur-de-savon. Son rêve d’ouvrir un salon digne de ce nom s’est envolé avec l’augmentation des taxes municipales.
À l’aube des élections de 2023, la question sociale devient un baril de poudre. Les dernières grèves dans la capitale ont vu émerger une nouvelle génération de syndicalistes déterminés. « On ne mangera plus de promesses », prévient une banderole brandie devant le Parlement. Un avertissement qui résonne comme un défi pour les autorités : entre volontarisme affiché et résultats tangibles, le fossé semble se creuser dangereusement.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net