Dans les ruelles animées de Kinshasa, une rumeur circule entre prières et espoirs politiques : et si le Cardinal Fridolin Ambongo devenait le premier Pape africain de l’histoire moderne ? Cette hypothèse, aussi audacieuse soit-elle, s’ancre dans un parcours marqué par des prises de position courageuses. « Il n’a jamais détourné le regard face aux injustices », confie un fidèle rencontré devant la cathédrale Notre-Dame du Congo. Une voix parmi des milliers qui voient en lui un défenseur des sans-voix.
Nommé conseiller du Pape François au sein de la curie romaine, le cardinal congolais incarne une figure atypique dans l’Église catholique. Son engagement pour les droits humains et son plaidoyer en faveur des plus démunis résonnent comme un écho aux enseignements du « Pape des pauvres ». Une proximité idéologique qui a culminé lors de la visite historique du Souverain pontife en RDC en janvier 2023. Ce jour-là, Kinshasa a vibré au rythme d’une unité rare : opposants et partisans du président Félix Tshisekedi réunis dans une même ferveur. Moïse Katumbi, Salomon SK Della et Martin Fayulu – habituellement aux antipodes – partageaient le même banc, unis par la spiritualité.
Mais derrière cette image d’harmonie se cachent des enjeux politiques colossaux. Le discours du Pape, appelant sans détour les « puissances étrangères à retirer leurs mains des affaires de la RDC », a-t-il été entendu ? La question reste suspendue, alors que l’exploitation des ressources minières continue d’alimenter des conflits. Dans ce contexte, le cardinal Ambongo représente-t-il un rempart contre les intérêts prédateurs ? Son influence dépasse les frontières religieuses : ses homélies analysées comme des prises de position politique, ses interventions médiatiques scrutées par la classe dirigeante.
L’hypothèse d’un Pape congolais soulève des défis inédits. Quel impact aurait une telle élection sur la politique internationale, notamment concernant les dossiers sensibles comme l’embargo implicite sur les minerais de sang ? L’Église catholique, souvent critiquée pour son eurocentrisme, serait-elle prête à ce tournant historique ? À Goma comme à Lubumbashi, certains y voient une revanche symbolique sur l’histoire coloniale. « Ce serait notre Obama à nous », lance un étudiant en droit, faisant référence à l’onde de choc provoquée par l’élection de l’ancien président américain.
Pourtant, le chemin vers le Vatican reste semé d’embûches. Les conclaves romains obéissent à des logiques complexes où se mêlent théologie et realpolitik. Le cardinal Ambongo, bien que respecté, devra convaincre des électeurs majoritairement européens. Son franc-parler sur les dérives autoritaires en Afrique et son insistance sur la justice climatique pourraient-ils jouer en sa défaveur ?
Qu’adviendrait-il de la relation État-Église en RDC si un Congolais guidait le Vatican ? Le président Tshisekedi, qui avait déployé des moyens exceptionnels pour la visite papale, garde une position prudente. Certains analystes y voient un calcul stratégique : un Pape africain pourrait renforcer le poids diplomatique du pays dans les négociations sur la sécurité dans l’Est.
Alors que les fidèles congolais multiplient les neuvaines pour « la fumée blanche », une certitude persiste : la simple éventualité de cette élection redessine déjà les imaginaires. Elle pose une question fondamentale : l’Église universelle est-elle prête à épouser la pluralité de ses fidèles ? La réponse, peut-être, s’écrira en lingala autour de la chapelle Sixtine.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net