Dans les rues de Bunia, capitale de l’Ituri, les regards se tournent vers un retour qui fait murmurer l’espoir. Yves Kahwa Panga Mandro, ancien chef de milice et figure controversée, a posé le pied sur sa terre natale après deux années d’exil en Ouganda. Un événement qui secoue le paysage politique de cette province meurtrie, où les cicatrices des conflits armés restent visibles sous chaque baobab. « Nous le remercions d’avoir accepté de rentrer pour construire la paix », lance Michel Meta, président de l’Union des associations culturelles et du développement de l’Ituri (UNADI). Mais derrière ces mots se cache une question brûlante : ce retour peut-il vraiment amorcer une ère nouvelle ?
L’UNADI, structure clé de la société civile, voit en Kahwa un levier potentiel pour rallier d’autres acteurs politiques et communautaires. « La paix nécessite la présence de tous, surtout des leaders influents », insiste Meta. Pourtant, l’histoire récente de l’Ituri donne à réfléchir. Entre 2017 et 2021, cette province a connu des violences intercommunautaires faisant des centaines de morts et déplaçant plus d’un million de personnes. Le chef coutumier, autrefois à la tête de la milice FPIC, incarne-t-il désormais un pont entre les factions ou un risque de résurgence des tensions ?
Le territoire de Djugu, épicentre des affrontements entre Hema et Lendu, observe ce retour avec un mélange de méfiance et d’attente. « Quand un arbre tombe, les oiseaux s’envolent », murmure un habitant sous couvert d’anonymat. La métaphore résume le défi : la stabilisation dépendra de la capacité à fédérer au-delà des clivages ethniques. Le gouvernement provincial, lui, mise sur une approche inclusive. « Les efforts conjugués des autorités, de la société civile et des leaders locaux comme Kahwa sont notre seule boussole », confie une source proche de l’administration.
Mais comment transformer les symboles en actions tangibles ? Kahwa, dont la chefferie des Bahema Banywagi couvre une zone stratégique, devra composer avec un terreau social encore fracturé. Les observateurs pointent un paradoxe : celui qui fut acteur des violences peut-il devenir architecte de réconciliation ? « En RDC, le chemin de la paix passe souvent par d’anciens fauteurs de troubles », analyse un expert en résolution de conflits contacté par Congo Quotidien. Une réalité complexe qui interroge les modèles traditionnels de justice transitionnelle.
Sur le plan sécuritaire, les défis restent immenses. Malgré le déploiement de la MONUSCO et des opérations militaires conjointes, des groupes armés continuent de sévir dans l’arrière-pays. La réintégration de figures comme Kahwa pourrait-elle désamorcer certaines cellules rebelles ? « Sa légitimité coutumière est un atout, mais sa crédibilité dépendra de ses actes concrets », tempère un membre d’ONG locale.
Au-delà des enjeux immédiats, ce retour pose une question fondamentale sur la gouvernance en RDC : comment construire une paix durable sans inclure ceux qui hier encore tenaient des armes ? L’Ituri, microcosme des tensions nationales, devient ainsi le laboratoire d’une équation politique à multiples inconnues. Entre espoir prudent et mémoire des traumatismes, la province retient son souffle. Car comme le rappelle un vieux proverbe congolais : « La pluie qui apaise une terre ne lave pas le sang qui l’a fertilisée ».
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net