En ce dernier jour de l’année 2025, le quartier de Camp Luka, dans la commune de Ngaliema, a servi de cadre à une démonstration de force politique d’un genre particulier. Plus de 8000 habitants du district de la Lukunga, à Kinshasa, se sont rassemblés à l’appel du ministre des Droits Humains, Samuel Mbemba. L’objectif affiché ? Une mobilisation populaire contre ce que les autorités qualifient d’« agression rwandaise ». Mais derrière les pagnes distribués et les enveloppes remises, se dessine une manœuvre politique aux contours plus complexes, visant à consolider le soutien à la tête de l’État en cette période de tensions régionales.
Le discours de Samuel Mbemba, loin de se cantonner à un simple appel au patriotisme, a habilement tissé un récit de légitimation du pouvoir en place. En invoquant le sacrifice des « frères et sœurs » morts à Goma, Bukavu et Uvira, le ministre ancre sa rhétorique dans l’émotion et l’urgence sécuritaire. Une stratégie classique, qui cherche à transformer une angoisse collective en capital politique. La référence constante au « commandant suprême », le président Félix Tshisekedi, et l’impératif de le soutenir « le jour comme la nuit », tel que relayé par la formule attribuée à « Papa Mboso », ne laissent guère de place à l’ambiguïté. Il s’agit bien d’un ralliement sans conditions, présenté comme un devoir national face à l’adversité.
Cette opération de mobilisation, organisée à la veille du réveillon, interroge sur les priorités du calendrier politique. Pourquoi choisir ce moment de transition vers la nouvelle année pour un tel rassemblement ? La réponse semble couler de source : capter l’attention d’une population en attente de célébration pour réorienter son discours vers les enjeux sécuritaires. En associant la « protection divine » à la défense de la nation, et en juxtaposant les souvenirs d’« autorités menteuses » du passé avec la figure d’un président qui « aime notre pays comme il faut », Samuel Mbemba esquisse un manichéisme politique des plus efficaces. Le soutien aux forces armées devient ainsi indissociable du soutien à leur commandant en chef, dans un amalgame savamment entretenu.
La dimension matérielle de l’événement – distribution de pagnes et d’enveloppes – ne doit pas être sous-estimée. Elle inscrit cette mobilisation dans une économie politique bien connue du terrain congolais, où le clientélisme et la générosité ponctuelle servent souvent de ciment aux alliances. Cette pratique, bien que courante, soulève des questions sur la nature de l’engagement ainsi suscité. S’agit-il d’un soutien profond et réfléchi à une politique de défense, ou d’une adhésion momentanée, achetée par les circonstances et les gratifications ? Le ministre des Droits Humains joue ici un rôle ambigu, utilisant les ressorts de la solidarité communautaire et des besoins immédiats pour servir une narration étatique.
Au-delà de la scène kinsoise, cette mobilisation pose la question plus large de la gestion de l’information et du sentiment national en temps de crise. En centralisant le discours sur l’agression extérieure et en faisant du président le rempart unique contre cette menace, le pouvoir en place consolide-t-il sa base ou prend-il le risque de réduire le débat démocratique à une logique de camp ? La vigilance demandée à la population, pour ne pas « se laisser distraire », peut être interprétée comme un appel à l’unité, mais aussi comme une injonction à ne pas regarder ailleurs, à ne pas questionner d’autres dimensions de la gouvernance. L’équilibre entre sécurité nationale et espace démocratique est, une fois de plus, mis à l’épreuve.
Alors que les festivités de la Saint-Sylvestre commençaient, le message de Camp Luka résonnait comme un rappel à l’ordre sécuritaire. L’initiative de Samuel Mbemba, qu’elle soit perçue comme une mobilisation citoyenne nécessaire ou comme une opération de propagande électoraliste anticipée, marque un moment clé dans la préparation de l’opinion publique congolaise aux développements à venir dans l’Est du pays. La nouvelle année 2026 s’annonce ainsi sous le signe d’une surenchère patriotique et d’un resserrement des rangs autour de l’exécutif, laissant entrevoir une politique intérieure de plus en plus indexée sur les soubresauts de la relation conflictuelle avec le Rwanda. Le président Félix Tshisekedi pourra-t-il capitaliser durablement sur cette stratégie, ou celle-ci finira-t-elle par révéler ses limites face aux attentes socio-économiques pressantes de la population ? L’avenir le dira, mais le coup d’envoi donné à Kinshasa sonne comme un engagement sans retour.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
