Dans un mouvement qui semble chercher à reprendre le contrôle d’un discours militaire parfois débridé, les autorités de Kinshasa ont suspendu ce lundi le général-major Sylvain Ekenge, porte-parole des FARDC. Cette décision intervient après des déclarations controversées tenues sur les antennes de la RTNC, qualifiées de propos discriminatoires à l’encontre de la communauté tutsie, et dont l’écho régional a visiblement embarrassé le pouvoir. Cette mesure disciplinaire, prise par le Chef d’état-major général, illustre-t-elle une réelle volonté d’apaisement ou simplement une gestion de crise d’image dans un contexte diplomatique déjà tendu avec Kigali ?
Les déclarations incriminées, proférées samedi dernier, relayaient des allégations infondées sur un prétendu « stratagème démographique » attribué aux femmes tutsies. Ces propos, rapidement instrumentalisés par des officiels rwandais, ont offert à Kigali un prétexte commode pour attaquer Kinshasa sur la scène internationale. La suspension du général Ekenge apparaît donc comme une réaction presque obligée, visant à limiter les dégâts diplomatiques et à préserver les fragiles équilibres régionaux. L’armée congolaise peut-elle se permettre de voir son porte-parole officiel alimenter des tensions ethniques, alors que son principal défi reste la cohésion nationale face aux groupes armés ?
Cette affaire souligne la difficulté permanente du président Tshisekedi à maîtriser les différents leviers du pouvoir, y compris la communication militaire. D’un côté, il affiche une ferme volonté de combattre toutes les discriminations ; de l’autre, des éléments de son appareil d’État continuent de véhiculer des discours qui contredisent cette ligne officielle. Cette suspension du général Ekenge constitue un signal fort, mais son effet sera jugé à l’aune de la consistance des actions futures. La crédibilité de l’engagement présidentiel en faveur de l’unité nationale est-elle mise à l’épreuve par ce genre d’incidents répétés ?
Parallèlement à cette tempête militaire, une autre polémique agite le paysage politique et religieux congolais. Mgr Fulgence Muteba, président de la CENCO et archevêque de Lubumbashi, a enflammé le débat public en dénonçant, lors de la messe de la Nativité, le partenariat stratégique Washington-Kinshasa signé sous l’administration Trump. Le prélat a évoqué un « bradage » des ressources minières pour une durée de 99 ans, un sacrifice qu’il juge compromettant pour le développement du pays. Ces propos, perçus comme une sévère critique de la diplomatie gouvernementale, n’ont pas tardé à provoquer une réaction cinglante des autorités.
Le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, est monté au créneau pour démonter point par point les affirmations de l’évêque. Dans une réplique sans ambages, Muyaya a qualifié les déclarations de Mgr Muteba de « factuellement fausses », insistant sur l’absence totale de mention d’une durée de 99 ans, d’une cession de souveraineté ou d’un quelconque bradage dans le texte de l’accord. « Vous n’avez pas dit la vérité, Mgr Fulgence Muteba ! », a-t-il clamé sur la plateforme X, résumant la virulence du ton gouvernemental. Cette passe d’armes inhabituelle entre l’État et un haut dignitaire de l’Église catholique révèle-t-elle une fracture croissante sur la vision de l’intérêt national et de la souveraineté ?
Le gouvernement campe sur sa position : l’accord avec Washington est un partenariat « gagnant-gagnant » fondé sur des principes, et l’État congolais conserve l’intégralité de ses prérogatives, notamment le droit de refuser toute proposition jugée contraire à ses intérêts. Patrick Muyaya a martelé que ni les mines ni la souveraineté ne sont cédées. Cette défense acharnée souligne la sensibilité du sujet et la crainte des autorités de voir se propager une narrative de « vente du pays », particulièrement mobilisatrice dans l’opinion publique. Le président Tshisekedi joue-t-il gros sur ce dossier, où sa crédibilité en matière de défense des ressources nationales est directement interrogée par une voix aussi respectée que celle de la CENCO ?
Ces deux séquences distinctes – la sanction d’un militaire pour propos discriminatoires et la réfutation vigoureuse des critiques d’un évêque sur un accord international – convergent vers un enjeu central : la maîtrise du récit national par le pouvoir en place. D’un côté, il tente de contenir les dérives verbales qui nuisent à l’unité et à la réputation du pays. De l’autre, il défend bec et ongles sa politique étrangère contre ce qu’il perçoit comme de la désinformation. La réaction de Patrick Muyaya à Mgr Muteba est symptomatique d’une approche de plus en plus offensive de la communication d’État, qui ne tolère plus les critiques perçues comme infondées, même lorsqu’elles émanent de l’Église.
En définitive, la suspension du général Ekenge et la polémique sur l’accord avec les États-Unis sont deux facettes d’un même défi de gouvernance : le contrôle de la parole et de la perception. L’efficacité de ces actions correctives, qu’elles soient disciplinaires ou discursives, se mesurera à leur capacité à rassurer tant la communauté nationale que les partenaires internationaux. Les prochains jours seront cruciaux pour voir si le pouvoir parvient à tourner la page de ces controverses ou si, au contraire, elles continueront d’alimenter un climat de défiance et de suspicion, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières de la RDC.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
