Les tas de sable et les amoncellements de moellons empiètent dangereusement sur la chaussée lisse et noire, réduisant la voie à un étroit couloir où se croisent difficilement motos et piétons. « On a cru à un progrès, enfin une route digne de ce nom, mais la voilà déjà transformée en chantier permanent », se désole un riverain, souhaitant garder l’anonymat. Cette scène, devenue banale sur certains axes récemment modernisés à Mbuji-Mayi, provoque la colère et l’inquiétude de l’Office des Voiries et Drainages (OVD). L’institution publique lance un cri d’alarme face à une pratique qu’elle juge destructrice pour les infrastructures routières RDC si précieusement acquises.
Dans un message publié sur les réseaux sociaux, l’OVD Mbuji-Mayi a tenu à rappeler une évidence technique souvent ignorée : une chaussée asphaltée est une structure complexe, composée de couches de granulats et de bitume, conçue pour une seule chose : supporter le passage des véhicules. Son destin n’est pas de servir de débarras à ciel ouvert. « L’entreposage de sable, de moellons ou d’autres matériaux sur la route asphaltée gêne la circulation, expose les usagers à des risques d’accidents et accélère la dégradation des routes », insiste l’office. Le poids statique des matériaux, les manipulations avec des outils métalliques, les infiltrations d’eau qu’ils peuvent causer : autant d’agressions qui fragilisent prématurément le revêtement. Quel gâchis pour ces routes modernisées Kasaï-Oriental, symboles d’un développement tant attendu par la population.
Mais pourquoi les habitants en viennent-ils à utiliser la voie publique comme une aire de stockage matériaux routes ? La question, posée en ligne, a fait émerger un autre versant, plus nuancé, du problème. Les réactions des internautes pointent du doigt un déficit d’aménagement. Kamanga Mbuyi, comme d’autres, interpelle l’OVD : « Où sont les passerelles ou les rampes d’accès promises pour permettre aux camions de décharger directement dans les parcelles ? » Danny Daniel abonde dans ce sens, soulignant que les travaux de voirie sont finis depuis longtemps, mais que les équipements annexes, pourtant essentiels à une intégration harmonieuse dans le tissu urbain, se font toujours attendre. Face à l’étroitesse des ruelles et l’absence d’alternative, le commerçant ou le particulier qui reçoit un camion de sable se trouve donc face à un dilemme insoluble : où le mettre, sinon sur le seul espace plat et accessible, c’est-à-dire la route ?
Ce conflit d’usage met en lumière une faille dans la planification urbaine. Moderniser une artère principale ne suffit pas ; il faut penser à son interface avec le quartier, aux besoins pratiques des riverains. Sans cela, l’investissement public est miné par les nécessités du quotidien. La route, perçue comme un bien commun impersonnel, devient alors une ressource à exploiter pour résoudre un problème immédiat de logistique. Comment, dans ces conditions, demander aux citoyens de « préserver ces routes chèrement acquises » lorsqu’ils estiment que le projet ne les a pas pleinement pris en compte ? Cette situation pose une question fondamentale sur la durabilité des infrastructures. À quoi bon investir des milliards dans la réhabilitation si des comportements, certes condamnables mais souvent contraints, en réduisent drastiquement la durée de vie ?
L’appel de l’OVD est donc autant un rappel à la réglementation qu’un révélateur des tensions entre modernisation formelle et réalité socio-économique locale. La préservation des voiries ne sera efficace que si elle s’accompagne d’un dialogue avec les communautés et de solutions concrètes pour l’accessibilité des parcelles. L’enjeu est de taille pour le Kasaï-Oriental et au-delà, pour toute la RDC : transformer des infrastructures neuves en vecteurs de développement pérenne, et non en objets de frustration et de dégradation accélérée. Le bitume ne fait pas tout ; il doit s’accompagner d’intelligence urbaine et d’une co-responsabilité partagée entre autorités et population. Sinon, le cycle infernal de la réhabilitation et de la dégradation risque de se perpétuer, au grand dam des finances publiques et de la sécurité des usagers.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
