L’État-major général des Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) a dû procéder à un exercice de déminage politique d’urgence, suite aux déclarations incendiaires de l’un de ses porte-voix les plus visibles. Le général-major Sylvain Epenge, dont la fonction était précisément d’incarner la ligne officielle de l’institution, s’est retrouvé au centre d’une tempête médiatique et politique après avoir tenu des propos discriminatoires à l’encontre de la communauté tutsi RDC. Cet épisode, loin d’être anodin, révèle les fractures persistantes au sein de l’appareil de défense et interroge sur la maîtrise du discours public en période de tension.
Dans un communiqué rendu public, l’état-major a pris soin de marquer une distance infranchissable entre les déclarations du porte-parole et la doctrine officielle. Les propos du général-major Sylvain Epenge « ne reflètent en rien la position officielle du pays, ni celle du Commandant suprême des FARDC, ni celle du Gouvernement », peut-on lire. Cette condamnation ferme, assortie d’un rappel solennel de la mission de protection de « tous les Congolais, sans discrimination », sonne comme une tentative de reprise en main narrative. Mais cette réaction institutionnelle, aussi rapide soit-elle, peut-elle effacer l’impact de paroles aussi lourdes de sens, prononcées par un haut gradé ?
La sanction n’a pas tardé : la suspension immédiate du général Epenge de ses fonctions. Cette décision, bien que nécessaire, pose question. S’agit-il d’une simple mesure disciplinaire pour étouffer un scandale, ou le début d’un véritable travail de fond pour épurer les rangs des FARDC de tout discours haine ? Le communiqué appelle, en effet, la population à l’unité et au rejet de la division. Cependant, on peut s’interroger sur l’efficacité d’un appel à la cohésion nationale lorsque celui-ci émane d’une institution dont un représentant de premier plan vient justement de jeter le trouble. La crédibilité de l’armée, pilier de la souveraineté dans un contexte sécuritaire volatile, est ici mise à rude épreuve.
Cet incident survient dans un climat politique et sécuritaire déjà extrêmement tendu, où la rhétorique communautaire est souvent instrumentalisée. La rapidité avec laquelle la hiérarchie militaire a réagi démontre une certaine conscience des risques de contagion. Le général Epenge a-t-il exprimé, de manière maladroite et publique, des sentiments partagés en coulisses par certains éléments des forces armées ? Cette hypothèse, bien que grave, ne peut être écartée d’un revers de main et mériterait une investigation interne approfondie. La lutte contre les groupes armés dans l’Est du pays nécessite une armée unie et perçue comme légitime par l’ensemble de la population. Comment les FARDC peuvent-elles prétendre protéger « jusqu’au sacrifice suprême » tous les citoyens si des doutes sont semés sur leur impartialité ethnique ?
La manoeuvre de l’état-major, consistant à isoler l’individu pour préserver l’institution, est classique en communication de crise. Elle permet de circonscrire les dégâts à un « cas isolé ». Pourtant, l’effet est double : si elle préserve à court terme l’image des FARDC, elle révèle aussi une faille dans le contrôle de la parole militaire. Le porte-parole n’est pas un simple soldat ; il est la voix de l’armée. Son recrutement, sa formation et son encadrement devraient garantir une adhésion absolue à la ligne républicaine et non-discriminatoire. Son dérapage signale un dysfonctionnement qui va au-delà de la personne.
En définitive, la suspension du général Epenge n’est probablement que le premier acte d’un dossier plus complexe. Les prochains enjeux pour les FARDC et le gouvernement seront de transformer cette sanction ponctuelle en une politique claire et visible de lutte contre toute forme de discrimination au sein des forces de sécurité. Il s’agira de démontrer, par des actes et non seulement par des communiqués, que l’engagement pour l’unité nationale est inébranlable. La crédibilité de la stratégie de défense et de sécurité, dans une région en proie aux conflits identitaires, en dépend directement. L’armée congolaise peut-elle se permettre de jouer avec le feu des divisions internes alors que les menaces externes sont si pressantes ? La réponse à cette question rhétorique déterminera la solidité du front national que les autorités appellent de leurs voeux.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
