« Cette fête ne s’est pas bien passée pour nous. Nous n’avons rien à manger, pas d’argent. Je ne sais pas comment cela se passe ailleurs, mais ici, on ne sent pas la joie de Noël. » La voix de Baudoin Nguna, sexagénaire et père de famille, se perd dans le silence pesant du site de déplacés de Kigonze, à Bunia. Autour de lui, pas de chants festifs, pas d’odeurs de repas de fête, seulement la résignation palpable de centaines de familles qui, ce jeudi 25 décembre, ont célébré la Nativité dans la douleur et la grande précarité. Comment peut-on parler de réjouissances lorsque l’essentiel de chaque journée est une lutte pour la survie ?
Pendant ce temps, à plus de 1500 kilomètres de là, une autre scène se déroule dans la capitale. Mercredi 24 décembre, l’Inspecteur général de la police nationale congolaise, Philémon Patience Mushid Yav, lançait une vaste opération police tracasseries Kinshasa. Des jeeps 4×4 de l’Inspection générale Police RDC sillonnent depuis toutes les communes avec un mandat clair : traquer et neutraliser les policiers qui, au lieu de protéger les citoyens, se livrent au vol et à l’intimidation. « Nous nous sommes venus en appui pour déceler les mauvais policiers, qui, au lieu de faire du travail, ils sont là pour traquer et voler. C’est là que nous allons nous occuper d’eux », a averti le chef de l’IG-PNC. Cette initiative vise explicitement à permettre aux Kinois de passer les fêtes de fin d’année RDC en toute tranquillité, dans un effort pour restaurer une confiance publique érodée.
Deux réalités, un même pays. D’un côté, une institution qui tente de se discipliner pour offrir un cadre sécurisé aux célébrations. De l’autre, dans l’est du pays, des communautés pour qui la notion même de sécurité est un lointain souvenir. Au site de Kigonze, l’insécurité a un visage multiple : celle des conflits armés qui ont provoqué le déplacement, mais aussi celle, plus insidieuse, de l’absence. Plusieurs femmes déplacées dénoncent l’arrestation récente de leurs époux par les services de sécurité. « C’est la fête de Noël, mais nous vivons dans l’angoisse. Beaucoup de nos maris sont en détention pour des raisons que nous ignorons. S’ils étaient libérés, nous aurions peut-être pu organiser un petit repas en famille », témoigne l’une d’elles, la voix tremblante. Ces femmes, désormais seules à la tête de leurs ménages, incarnent le déchirement d’une région où les conditions déplacés Ituri sont synonymes de rupture familiale et de vulnérabilité extrême.
L’opération police tracasseries Kinshasa est-elle le signe d’une volonté réelle de réforme, ou un simple cautère sur une jambe de bois à l’approche des fêtes ? La question mérite d’être posée. L’Inspection Générale a pour mission de veiller à la déontologie et à l’intégrité au sein de la police. Son intervention pendant les fêtes est cruciale, car c’est souvent en période de forte circulation et de célébrations que les abus se multiplient. Mais cette action ponctuelle à Kinshasa semble bien dérisoire face à la détresse structurelle vécue par les déplacés Bunia Noël. Leur Noël à eux, c’est l’attente sous des abris de fortune, l’espoir ténu d’une aide humanitaire qui tarde, et le rêve inavoué d’un retour durable dans leurs villages.
Le contraste est frappant et interroge profondément sur les priorités nationales. Sécuriser la capitale pour les fêtes est une nécessité, sans aucun doute. Mais à quel moment la sécurité quotidienne de dizaines de milliers de citoyens déplacés, victimes collatérales de conflits qui durent, devient-elle une urgence absolue ? Les festivités de fin d’année devraient être un moment de communion et de joie partagée. À Bunia, elles ont révélé une fracture sociale et géographique béante. La célébration s’est déroulée dans le silence, une amère résignation servant de repas de fête.
Derrière ce Noël amer pour les déplacés de Bunia et cette opération policière à Kinshasa, se cache un enjeu sociétal majeur pour la République Démocratique du Congo : la quête d’une sécurité et d’une justice équitables sur l’ensemble de son territoire. Les familles de Kigonze n’aspirent pas à des festins somptueux, mais simplement à la dignité élémentaire de célébrer une fête sans peur et sans faim. Elles espèrent, au-delà d’un plat chaud, le retour de la paix qui leur permettrait de rentrer chez elles. L’action de l’Inspection générale Police RDC, aussi bien intentionnée soit-elle dans la capitale, ne peut être qu’un premier pas. Le véritable test de la transformation des forces de l’ordre et de l’engagement de l’État résidera dans sa capacité à étendre cette exigence d’intégrité et de protection à tous les Congolais, de Kinshasa à Bunia, en passant par tous les coins du pays où la peur a remplacé la liesse. Les fêtes passent, mais le défi, lui, demeure entier.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
