En cette période de fêtes de fin d’année, le gouverneur militaire Ituri, le général Johnny Luboya N’kashama, a délivré un message dont la portée politique dépasse largement les simples vœux de circonstance. S’adressant aux populations d’une province toujours sous le régime de l’état de siège Ituri, son allocution a oscillé entre un satisfecit assumé sur l’action des forces armées et une exhortation pressante à l’unité nationale. Cette intervention, soigneusement calibrée, soulève une question fondamentale : l’appel à la cohésion est-il le prélude à une pérennisation de la gouvernance militaire ou la reconnaissance implicite des limites d’une stratégie purement sécuritaire ?
Le bilan dressé par l’autorité provinciale, via son porte-parole le lieutenant Jules Ngongo, se veut résolument optimiste. Les « progrès significatifs » mis en avant concernent principalement la restauration de l’autorité de l’État et le « retour progressif et remarquable des populations civiles dans leurs milieux d’origine ». Ces avancées, présentées comme le fruit de la résilience des militaires et de la collaboration avec les civils, servent de justification aux mois écoulés sous le régime d’exception. Des projets socio-économiques sont évoqués, esquissant les contours d’une stratégie visant à lier paix développement Ituri. Pourtant, derrière cette vitrine positive, le gouverneur concède lui-même la persistance de « défis sécuritaires et humanitaires » majeurs. Cette dissonance révèle la difficulté de l’entreprise : l’état de siège peut-il véritablement être un tremplin vers la stabilité durable, ou n’est-il qu’un palliatif à une crise profonde dont les racines demeurent intactes ?
Le cœur du message Noël Ituri réside dans un appel répété au patriotisme et à l’engagement collectif. « Revêtir le sens du patriotisme », « s’unir autour de l’idéal de la paix » : le vocabulaire mobilisé par le général Luboya est celui de la mobilisation générale. Cette rhétorique, souvent utilisée pour souder une population face à l’adversité, interroge sur la nature du contrat social proposé. S’agit-il d’un partenariat sincère entre l’armée et les civils pour reconstruire la province, ou d’une demande de légitimation populaire envers une autorité dont le mandat repose sur la force ? La référence aux « générations futures » et à la construction d’un « avenir meilleur » semble aspirer à ancrer l’action présente dans un projet à long terme, dépassant la simple gestion de crise.
L’analyse des déclarations officielles laisse entrevoir une stratégie politique calculée. En associant étroitement les succès militaires à un début de renaissance socio-économique, le gouverneur militaire tente d’élargir la base de son autorité. Il ne se présente plus seulement comme le chef des opérations de sécurisation, mais comme le garant du développement à venir. Cette posture est risquée : elle crée des attentes tangibles en matière de reconstruction et de services publics, attentes auxquelles il devra répondre pour éviter une désillusion aux conséquences potentiellement explosives. Le discours d’unité sert alors de ciment pour maintenir un front commun, masquant temporairement les potentielles fissures et les critiques sur l’efficacité réelle de l’état de siège Ituri.
Quels sont donc les prochains enjeux pour la province ? La consolidation des « acquis » évoqués par le gouverneur passera nécessairement par une transition complexe. Le défi sera de transformer les avancées tactiques en une paix structurelle, ce qui implique de s’attaquer aux causes profondes des conflits, qu’elles soient économiques, ethniques ou liées à la gouvernance locale. La mention des « défis sécuritaires Ituri » persistants est un aveu lucide des obstacles à venir. La communauté nationale et internationale observera avec attention la capacité des autorités militaires à orchestrer ce virage, sans lequel l’édifice pourrait bien se révéler fragile. L’appel à l’unité sonne donc comme un impératif catégorique pour le gouvernement provincial, qui joue sa crédibilité sur sa capacité à traduire les paroles en actes concrets et partagés.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
