La scène, d’une trivialité désormais familière dans le paysage politique congolais, s’est déroulée ce dimanche 21 décembre à Kinshasa. Martin Fayulu, figure emblématique de l’opposition et coordonnateur de la plateforme Lamuka, s’est vu interdire l’accès à une salle de la Cité Verte, dans la commune de Selembao, où il devait s’adresser à un parterre d’étudiants. Contraint d’animer son débat en plein air, cet incident, loin d’être isolé, catalyse les accusations de restriction de l’espace démocratique en RDC portées par ses partisans. Une question s’impose : cette gestion différentielle des libertés publiques signe-t-elle l’avènement d’une nouvelle ère de contrôle politique ?
Dans une déclaration cinglante rendue publique le lundi 22 décembre, le porte-parole de Lamuka, Prince Epenge, a dénoncé avec véhémence ce qu’il qualifie de « politique de deux poids, deux mesures ». Selon lui, cet événement s’inscrit dans une séquence où « systématiquement les forces de l’ordre ou de désordre sont envoyées pour empêcher les manifestations de l’opposition ». Le contraste, souligné avec amertume, est frappant : pendant que les activités de Lamuka sont entravées, celles de l’UDPS, parti présidentiel, et de la mouvance Union sacrée de la Nation se dérouleraient « sans encombre, sans aucune interdiction ». Ce traitement asymétrique des libertés politiques, martèle Epenge, « est en train de mettre en péril les efforts de cohésion et d’unité » et représente une « dérive dictatoriale » à laquelle il est urgent de faire attention.
La réponse des autorités locales, par la voix du bourgmestre de Selembao, Womumu Yanyi Mathias, offre un contrepoint administratif à cette lecture politique. L’élu communal invoque non pas une interdiction politique, mais un simple défaut de procédure. Il affirme que ni la ville ni la commune n’avaient été informées de cette activité publique, et qu’il a simplement demandé aux organisateurs de la reporter pour se conformer à la loi. « La démocratie implique aussi le respect des principes et des règles établis », a-t-il rappelé, plaçant le débat sur le terrain de la régularité formelle plutôt que sur celui de l’intention politique. Cette explication, bien que légale sur le papier, peine à convaincre une opposition qui y voit un prétexte récurrent pour museler ses voix.
L’analyse de cet épisode dépasse le simple fait divers administratif. Il révèle les tensions sous-jacentes qui traversent la liberté politique au Congo. La stratégie semble être celle d’un encadrement strict, voire d’un étouffement ciblé, de l’espace d’expression de l’opposition radicale, tandis que l’espace allié au pouvoir jouit d’une permissivité totale. Cette gestion crée un déséquilibre fondamental dans le jeu démocratique. L’interdiction d’une conférence de Martin Fayulu n’est donc pas un incident isolé, mais plutôt la manifestation tangible d’une ligne politique plus large visant à contrôler la narration et à limiter l’influence des contre-pouvoirs en dehors du cadre de l’Union sacrée.
Les implications sont profondes. D’une part, cette pratique nourrit le sentiment de persécution et de marginalisation au sein des franges les plus critiques de l’opposition, durcissant les positions et rendant tout dialogue national plus improbable. D’autre part, elle expose le pouvoir à des accusations crédibles de dérive autoritaire, entamant sa légitimité tant sur la scène nationale qu’internationale. Le pouvoir joue ici un jeu dangereux : en instrumentalisant les règles administratives pour restreindre l’espace politique adverse, il fragilise les institutions mêmes qu’il est censé incarner et ouvre la voie à une escalade des tensions.
À l’heure où la cohésion nationale est présentée comme un impératif, la méthode interroge. Peut-on véritablement construire l’unité en asphyxiant certaines composantes du débat public ? La restriction de l’espace démocratique en RDC, si elle devient la norme, risque de saper les fondements déjà précaires de l’État de droit et de conforter l’idée d’un régime de plus en plus sourd à la pluralité des voix. L’avertissement lancé par Lamuka – « tout passe, tout coule, rien ne demeure » – sonne comme un rappel à l’histoire. Les régimes qui pensent pétrifier le présent en verrouillant l’espace public finissent souvent par être emportés par le flux du mécontentement qu’ils ont contribué à endiguer. Le prochain enjeu pour les autorités sera de démontrer que le respect des procédures n’est pas l’alibi d’une restriction systématique, mais le gage d’une démocratie apaisée où toutes les sensibilités, y compris celle de Martin Fayulu et de la mouvance Lamuka, peuvent s’exprimer dans le cadre de la loi. L’alternative serait de valider, par la pratique, l’accusation de dérive contre laquelle elles prétendent lutter.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
