L’adoption, ce dimanche, du projet de loi portant réforme foncière par l’Assemblée nationale de la République Démocratique du Congo marque un tournant institutionnel majeur. Présenté comme une réponse à des décennies de désordre, ce texte, porté avec détermination par la ministre des Affaires foncières, O’Neige Nsele, aspire à refonder les bases d’un secteur historiquement gangréné par les conflits et l’insécurité juridique. La ministre elle-même n’a pas mâché ses mots, qualifiant l’ancien dispositif de 1973 d’« obsolète » et « inadapté aux mutations du pays ». Une critique cinglante qui souligne l’ampleur du chantier entrepris et les attentes colossales qu’il suscite.
Mais au-delà des déclarations d’intention, que contient véritablement cette réforme foncière RDC tant attendue ? Le projet de loi foncière 2024 s’articule autour d’un triple objectif : sécuriser les droits, moderniser l’administration et assainir les pratiques. Dans un pays où l’acquisition d’une parcelle était devenue un « véritable pari », selon les termes de la ministre, l’ambition est aussi titanesque que nécessaire. La plénière de l’Assemblée nationale RDC a ainsi validé un texte qui s’attaque aux racines du mal : chevauchements de compétences, lotissements illicites, spéculations effrénées et impunité généralisée.
Parmi les innovations phares, la numérisation intégrale du cadastre numérique Congo apparaît comme la colonne vertébrale de la modernisation promise. Cette mesure technique est pourtant éminemment politique : elle vise à substituer à l’opacité des registres physiques, sujets aux manipulations et aux « folios » (titres falsifiés), une transparence administrée par la technologie. En parallèle, la suppression de la prescription foncière et le renforcement des sanctions civiles et pénales pour les agents véreux entendent créer un environnement dissuasif pour les pratiques prédatrices. Le gouvernement joue-t-il ainsi son crédit sur sa capacité à briser les réseaux établis et à imposer une nouvelle gouvernance ?
La réforme, habilement, ne jette pas pour autant totalement aux oubliettes l’ancien édifice législatif. Elle préserve les principes cardinaux de la loi de 1973, comme la propriété exclusive de l’État sur le domaine foncier et l’obligation de mise en valeur. Cette continuité affichée est-elle un gage de stabilité ou une concession aux conservatismes ? Elle introduit néanmoins des mécanismes censés dynamiser le marché tout en le régulant, à l’instar de l’instauration d’une mercuriale foncière pour plus de transparence sur les prix et la réduction drastique des concessions gratuites, souvent sources d’abus.
L’instauration d’une phase de conciliation obligatoire avant tout contentieux constitue une autre avancée significative. Elle reconnaît implicitement l’engorgement des tribunaux et la nature éminemment sociale de nombreux conflits fonciers. Cette procédure préalable pourra-t-elle désamorcer les tensions à la base, ou risquera-t-elle de retarder encore l’accès à la justice pour les plus vulnérables, souvent victimes de spoliations ? La réponse se jouera dans son application concrète sur le terrain, loin des hémicycles de Kinshasa.
L’adoption par la chambre basse n’est cependant qu’une étape. Le texte doit maintenant passer l’épreuve du Sénat avant la promulgation présidentielle. Le parcours législatif de ce projet, examiné par une commission mixte aux compétences étendues, témoigne de sa complexité et de ses enjeux transversaux. La ministre O’Neige Nsele, qui a porté ce dossier avec un volontarisme certain devant les parlementaires, devra maintenant convaincre ses pairs de la chambre haute. Le véritable test, cependant, interviendra après la promulgation. L’audit national des terres non mises en valeur, prévu par la loi, constituera la première pierre de touche de cette ambitieuse réforme. Réussira-t-il à identifier et à récupérer les vastes étendues accaparées de manière illégale ou stériles ?
La modernisation du secteur foncier en RDC est un pari sur l’avenir. En digitalisant le cadastre, en renforçant la sécurité juridique et en traquant les irrégularités, les autorités espèrent non seulement apaiser les conflits locaux mais aussi envoyer un signal fort aux investisseurs nationaux et internationaux. La réussite de cette réforme foncière RDC conditionnera en partie la crédibilité des autres réformes économiques. L’échec, à l’inverse, pourrait durablement enterrer l’espoir d’une gestion transparente et équitable de la terre, cette ressource si cruciale et si conflictuelle. Le travail de la ministre Nsele et du gouvernement ne fait que commencer. La balle est désormais dans le camp de l’administration pour transformer une loi ambitieuse en une réalité tangible pour des millions de Congolais.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
