Comment peut-on envisager l’avenir lorsque les salles de classe sont devenues des lieux de peur ? Plus d’un mois après la suspension des activités scolaires, décrétée le 10 novembre 2025, le silence reste assourdissant dans les écoles de Vikindwe, une localité pourtant située à seulement une dizaine de kilomètres de Musienene, dans le territoire de Lubero, au Nord-Kivu. Les établissements primaires Vikindwe et Vuketi, ainsi que l’Institut Viseya, sont toujours paralysés, laissant des centaines d’élèves dans l’incertitude et l’oisiveté. Cette situation n’est malheureusement pas un cas isolé dans une région où l’insécurité chronique grignote le droit fondamental à l’éducation.
Mais qu’est-ce qui a précipité cette fermeture prolongée ? Selon Kakule Syaghuswa Arsène, directeur principal de l’école primaire Vikindwe, la cause est à chercher du côté des miliciens wazalendo. Il évoque un climat de terreur fait de multiples exactions. L’onde de choc a commencé avec un viol d’écolière en février dernier, un événement traumatisant qui a profondément marqué la communauté. Depuis, les menaces de mort et les tirs sporadiques en plein jour sont devenus monnaie courante, rendant tout enseignement impossible. « Le climat est si précaire que certains élèves ont fait des crises à l’école », confie le directeur, soulignant l’impact psychologique dévastateur de cette violence sur les enfants.
Face à cette impasse, le cri du cœur de Kakule Syaghuswa Arsène est clair : il appelle à une intervention urgente des autorités provinciales de l’éducation. Son message, qu’il souhaite voir remonter jusqu’au gouverneur et à son conseil de sécurité, est un plaidoyer pour le délogement des miliciens wazalendo de Vikindwe. Sans une action décisive pour rétablir un minimum de sécurité, comment envisager une reprise normale des cours ? La balle est désormais dans le camp des décideurs, alors que toute une génération voit son avenir compromis.
La situation n’est guère plus encourageante à Njiapanda, où une reprise des cours avait pourtant été annoncée, suite à la demande du comité sous-provincial de l’éducation. Trois semaines après l’arrêt des cours décrété par la société civile, la rentrée du lundi 8 décembre n’a été que symbolique. Seuls quelques élèves se sont présentés. À Kambau, dans le groupement Bapakombe, la situation est encore plus criante : Mbunia Kisenge, chef d’établissement d’une école secondaire, rapporte une absence totale d’élèves. Les parents, terrifiés par les attaques répétées contre les positions de l’UPLC dans la zone, refusent d’envoyer leurs enfants à l’école.
Même à Njiapanda, la reprise est à deux vitesses. Si les établissements du centre du village ont timidement ouvert leurs portes, ceux situés en périphérie font face à des salles vides, malgré la présence dévouée des enseignants. Seuls les élèves finalistes, poussés par l’urgence des examens, ont osé braver la peur. Cette disparité illustre un problème plus large : l’insécurité ne connaît pas de frontières et sape la cohérence du système éducatif dans des zones déjà fragilisées.
Les miliciens wazalendo, régulièrement accusés de ces exactions dans la région de Musienene et la chefferie des Baswagha, sèment un quotidien fait de pillages, de tracasseries, de viols et d’arrestations arbitraires. L’impunité semble régner, comme en témoigne le tragique incident du 12 novembre, où une jeune étudiante a été tuée par balle lors d’un affrontement entre factions rivales de wazalendo au marché de Musimba. Bien qu’officiellement alliés à l’armée congolaise dans le conflit contre le M23, ces groupes échappent à tout contrôle, opérant sous des commandements parallèles et semant la désolation parmi les civils.
Quelles solutions pour sortir de cette spirale infernale qui frappe l’éducation à Vikindwe et dans le Lubero ? La réponse ne peut être uniquement sécuritaire. Elle nécessite une volonté politique ferme pour protéger les écoles en tant que sanctuaires de l’apprentissage. Les appels des directeurs d’école et des parents doivent être entendus au plus haut niveau. En attendant, chaque jour de fermeture est un jour volé à l’avenir de ces enfants. La communauté internationale, souvent focalisée sur les grands combats, se souviendra-t-elle que la première victime de cette insécurité est le droit fondamental d’apprendre en paix ? L’éducation est le pilier du développement ; la laisser s’effondrer sous les coups de l’instabilité, c’est condamner toute une région à l’obscurantisme.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd
