La réintroduction de la proposition de loi sur le service militaire obligatoire en RDC, portée par le député national Claude Misare, a été placée sous le scalpel d’experts lors d’un atelier préparatoire organisé par l’Institut Ebuteli. Cet exercice de décryptage, labellisé Talatala+, visait à évaluer la faisabilité d’un tel projet dans un contexte où l’architecture même de l’armée nationale semble reposer sur des fondations aussi fragiles que paradoxales. Alors que la menace du Rwanda Democratic Forces (RDF) plane toujours à l’Est, le législateur peut-il raisonnablement envisager de contraire la jeunesse à intégrer une institution dont les failles structurelles et doctrinales sont unanimement pointées du doigt par les spécialistes ?
Nickson Kambale, expert chez Ebuteli, a planté un décor historique aussi éclairant qu’inquiétant. Retraçant l’évolution des forces armées depuis l’ère Mobutu, il a souligné que l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila avait hérité d’une armée « ayant cessé d’exister depuis les années 60 ». Une création ex nihilo qui, selon lui, a abouti à une structure unique au monde, fruit de réformes aussi ambitieuses que désordonnées, comme celle du général Mwando Simba. « Avec ce type d’armée, comment pouvons-nous encourager une loi pareille et avoir un service militaire obligatoire ? », s’est-il interrogé, posant une question qui résume à elle seule le paradoxe congolais. Son constat est sans appel : l’édifice législatif et doctrinal nécessaire à une armée moderne fait cruellement défaut. L’absence de doctrine de défense écrite et codée, ainsi qu’une stratégie nationale, rendent vaine, selon lui, toute tentative de légiférer sur le sujet. Comment, en effet, bâtir sur du sable mouvant ?
L’analyse de Chantal Faida, écrivaine et actrice politique, a plongé dans les mécanismes opaques de gestion du personnel militaire, dévoilant une pratique qui sape toute velléité de réforme sérieuse. Évoquant le concept de « poissons pourris » théorisé par Nicaise Kibel’Bel, elle a révélé un système où environ 20% des effectifs policiers actifs ne seraient pas rémunérés. Pis, leurs salaires détournés financeraient des éléments des FARDC originaires du Rwanda. « Donc ces militaires prennent de l’argent des autres qui sont actifs, qui s’épuisent, qui donnent beaucoup à la nation mais ne sont pas pris en charge. Et au finish, ils vandalisent la population », a-t-elle dénoncé. Son message au député Misare est clair : comprendre l’état des lieux sur le front est un préalable indispensable à toute législation. Peut-on sérieusement envisager d’envoyer des jeunes dans une institution où la paie et la dignité sont aléatoires ?
L’expert Yves Diabikulia, chercheur à l’observatoire congolais de suivi des activités de la police, a abondé dans le sens d’une refonte doctrinale préalable. Sans une doctrine de défense claire, toute loi risque de se contredire ou de se superposer à des textes existants, créant une cacophonie législative contre-productive. « Donc, sans cette doctrine existante, on peut faire des lois, mais qui peuvent juste s’opposer et se contredire entre elles », a-t-il expliqué, plaidant pour une réforme en profondeur de l’appareil militaire, policier et de renseignement avant d’envisager la conscription. Cette approche séquentielle met en lumière l’improvisation qui a trop souvent caractérisé la gouvernance de la sécurité en RDC.
Malgré ce constat sévère, les participants à l’atelier Talatala+ ont reconnu l’impératif constitutionnel de renforcer l’armée, notamment face aux menaces étrangères. L’article 63 de la Constitution de 2006 garantit en effet le principe du service militaire obligatoire. Cependant, la ruine des centres de formation à travers le pays et l’image désastreuse des FARDC, entachée par des salaires dérisoires et des exactions, constituent des obstacles quasi insurmontables à l’adhésion citoyenne. Le gouvernement joue-t-il un double jeu, brandissant une réforme symbolique tout en négligeant les réparations essentielles ?
La proposition de loi de Claude Misare se heurte donc à un mur de réalités socio-économiques et institutionnelles. L’atelier organisé par Ebuteli recherche a le mérite de poser les termes du débat : la question n’est pas de savoir s’il faut une armée forte, mais comment la construire. La réforme de l’armée congolaise passe-t-elle nécessairement par la contrainte de sa jeunesse, ou bien par un assainissement en interne, une clarification doctrinale et une revalorisation des conditions de vie des soldats ? En l’état, la proposition semble être un remède miracle annoncé pour une maladie mal diagnostiquée. Le chemin vers une force de défense crédible et respectée sera long, et il commence moins par une loi de circonstance que par un courage politique dont les autorités ont, jusqu’à présent, fait preuve avec une parcimonie déconcertante.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
