Le silence des autorités résonne comme un abandon dans le village de Tembo, au cœur du territoire de Kasongo Lunda. « Je manque de mots pour expliquer ça », lâche, épuisé, Jean Kayiji, président de la société civile locale. Son constat est accablant : depuis plus d’un mois, 531 compatriotes refoulés de l’Angola errent dans sa communauté, sans que la moindre assistance n’ait été déployée. Cette crise humanitaire au Kwango, ignorée des radars nationaux, plonge des familles d’accueil dans une détresse indicible, transformant un élan de solidarité en cauchemar quotidien.
Comment en est-on arrivé là ? L’image est celle d’une débrouille désespérée. Les réfugiés congolais, parmi lesquels de nombreux enfants de moins de cinq ans et des femmes, dont certaines enceintes, survivent grâce à la maigre générosité des habitants. Les familles d’accueil de Tembo, souvent déjà précaires, partagent le peu qu’elles ont. « Nous avons mis en place un comité de crise. C’est comme ça que nous sommes en train de quémander par-ci par-là », confie Jean Kayiji, décrivant une situation qu’il qualifie d’« indescriptible ». Aucune structure humanitaire, aucune délégation gouvernementale n’a foulé le sol du village pour évaluer l’urgence. Les appels à l’aide lancés par la société civile se sont évanouis dans le vide, laissant la communauté seule face à un afflux massif de personnes vulnérables.
Le calvaire est multiple. Au-delà du manque criant de nourriture et d’abris décents, la santé publique est un angle mort. La prise en charge des malades et des femmes enceintes pose un problème insoluble, exposant la population à des risques sanitaires majeurs. Les familles d’accueil se retrouvent littéralement « entre le marteau et l’enclume », partagées entre leur devoir d’humanité et leur impuissance face à l’ampleur des besoins. Cette crise met en lumière une faille béante dans le dispositif de protection des citoyens congolais, où la frontière avec l’Angola devient une zone de non-droit pour les expulsés.
Cette situation à Tembo n’est malheureusement pas un cas isolé. Dès novembre dernier, l’Assemblée provinciale du Kwango tirait la sonnette d’alarme, signalant la présence de plus de 1 000 refoulés congolais non seulement à Tembo, mais aussi dans la localité de Shakufua, dans le territoire de Kahemba. Un détail glaçant avait été relevé par les élus : parmi ces personnes, certaines ne parlaient aucune langue congolaise, suggérant des parcours de vie complexes et une rupture totale avec leur pays d’origine. Cette précision interroge sur les conditions de ces refoulements et sur l’identité même de ces personnes. Sont-ils des Congolais de longue date expulsés, ou des descendants ayant grandi de l’autre côté de la frontière ? Le flou qui entoure leur statut complique davantage leur prise en charge et leur intégration.
Face à ce qui s’apparente à une démission des pouvoirs publics, une question brûle les lèvres : jusqu’où peut aller la résilience des communautés locales ? La solidarité villageoise, bien que remarquable, a ses limites. Elle ne peut se substituer indéfiniment à la responsabilité première de l’État, qui est de protéger sa population, où qu’elle se trouve. L’inaction actuelle ne fait qu’aggraver une crise humanitaire qui pourrait, à terme, déstabiliser toute la région du Kwango. Les tensions liées à la rareté des ressources, la pression sur des services sociaux déjà inexistants et les risques d’épidémies constituent une poudrière que Kinshasa ne peut plus ignorer.
L’appel de Jean Kayiji et de la société civile de Kayiji est un cri du cœur qui doit être entendu. Il ne s’agit pas seulement d’acheminer de l’aide alimentaire d’urgence, bien que ce soit vital. Il s’agit d’organiser un recensement digne de ce nom, de fournir des soins médicaux, de sécuriser des abris et, surtout, de clarifier le statut administratif de ces centaines de citoyens en détresse. La République Démocratique du Congo peut-elle se permettre d’abandonner ses enfants aux portes de ses frontières ? La réponse à cette question rhétorique définira le visage humanitaire que le pays souhaite offrir, tant à ses citoyens qu’à la communauté internationale. L’heure n’est plus aux alertes, mais à l’action concrète et coordonnée pour les réfugiés congolais de Kasongo Lunda et d’ailleurs.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
