Dans un contexte sécuritaire toujours plus volatile, l’appel du pape Léon à cesser les violences dans l’est de la République démocratique du Congo résonne comme un avertissement solennel à la communauté internationale. Cette inquiétude pontificale, exprimée avec une gravité rare, intervient alors que les affrontements en RDC connaissent une recrudescence alarmante, remettant en cause des années d’efforts diplomatiques fragiles. Mais au-delà de la condamnation, se dessine une bataille plus subtile pour le récit de la paix et le contrôle du processus de sortie de crise.
À Kinshasa, la réponse ecclésiastique s’est incarnée dans la voix du cardinal Fridolin Ambongo. S’exprimant lors de la clôture de l’Assemblée plénière de l’ACEAC, le prélat a vigoureusement promu le Pacte social pour la paix, le présentant comme l’unique « chemin incontournable » vers une paix durable. Cette initiative, portée conjointement par la CENCO et l’ECC, ambitionne de « désarmer les cœurs et les esprits ». Cependant, le cardinal n’a pas caché son amertume, regrettant que les précédents appels des Églises soient restés lettre morte, un silence qui, selon lui, a coûté « des vies humaines ». Son plaidoyer sonne-t-il comme un constat d’échec des canaux diplomatiques traditionnels ?
La référence à l’occupation d’Uvira, malgré les accords de Washington, est un coup de semonce. Elle souligne crûment les limites des processus actuels et pose une question fondamentale : les cadres de dialogue existants sont-ils encore crédibles ? Le cardinal Ambongo, en situant son discours dans la cathédrale Notre-Dame du Congo, donne à son message une portée à la fois spirituelle et profondément politique. Il place l’Église non plus seulement comme médiatrice, mais comme architecte indispensable d’une nouvelle feuille de route.
Cette offensive diplomatique de l’Église se heurte frontalement à la ligne inflexible du pouvoir civil. Le président Félix Tshisekedi campe sur ses positions, réaffirmant que l’Accord de Washington et le processus de Doha demeurent les seuls cadres de référence légitimes. En déclarant qu’aucun dialogue national RDC ne peut se tenir en dehors de son initiative, le Chef de l’État trace une ligne rouge claire. Il joue gros en marginalisant les appels convergents des confessions religieuses pour un dialogue plus inclusif. Cette posture de fermeté vise-t-elle à consolider son autorité face à des acteurs internationaux perçus comme tièdes, ou risque-t-elle au contraire d’isoler Kinshasa sur la scène régionale ?
La « vive inquiétude » du souverain pontife et l’insistance du cardinal Ambongo mettent en lumière l’impasse stratégique dans laquelle se trouve la région. D’un côté, une rébellion, l’AFC/M23, qui poursuit ses avancées territoriales, alimentant les tensions persistantes entre Kinshasa et Kigali. De l’autre, une multiplication d’initiatives – Washington, Doha, le Pacte social – qui peinent à produire des résultats concrets sur le terrain. Cette cacophonie diplomatique sert-elle involontairement les intérêts des belligérants en leur offrant un paysage fragmenté où il est facile de jouer un processus contre l’autre ?
L’unité affichée des Églises congolaises constitue un fait politique nouveau et significatif. En plaidant d’une seule voix, elles exercent une pression morale considérable sur le gouvernement. Leur proposition de Pacte social tente de déplacer le débat de la pure logique militaro-diplomatique vers un engagement sociétal plus large. Cependant, son succès dépendra de sa capacité à être perçu non comme une concurrente, mais comme un complément aux processus étatiques. Le risque est de voir se creuser un fossé entre une société civile, dont les Églises sont un pilier, et un exécutif arc-bouté sur sa prérogative régalienne en matière de sécurité et de dialogue.
À l’heure où les canons tonnent de nouveau, les prochains enjeux sont clairs. La communauté internationale, interpellée par le pape lui-même, parviendra-t-elle à transcender ses divisions pour imposer un cessez-le-feu vérifiable ? Le président Tshisekedi saura-t-il intégrer la puissante dynamique portée par les Églises dans sa stratégie, ou persistera-t-il dans un isolement qui pourrait à terme fragiliser sa légitimité ? Enfin, le Pacte social pour la paix des Grands Lacs pourra-t-il devenir la plateforme de confiance manquante, ou restera-t-il un vœu pieux face à la réalité implacable des armes et des intérêts géopolitiques ? La réponse à ces questions déterminera si l’inquiétude du pape pour le Congo se mue en espoir ou en un nouveau chapitre de désillusion.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
