Des rameaux accrochés aux portes et sur les habits, des chants de colère qui résonnent devant un hémicycle déserté. Ce jeudi à Bandundu, le siège de l’Assemblée provinciale du Kwilu était figé, portes closes, sous le poids de huit mois d’arriérés de salaire. La colère, longtemps contenue, a débordé. Agents, cadres et même députés ont uni leurs voix dans une même manifestation, décrétant une journée sans travail pour crier leur détresse. Comment des institutions censées représenter le peuple peuvent-elles fonctionner lorsque ceux qui les font vivre sont réduits au silence par la précarité ?
Le mouvement est né d’une lassitude profonde. « Nous n’accepterons plus que nos droits soient bafoués », clament les agents dans une déclaration officielle. Leur revendication est simple, élémentaire, et pourtant semble inatteignable : le paiement immédiat de leurs dus. Leur cri du cœur révèle une fracture plus large au sein de la République Démocratique du Congo, où le non-respect des engagements salariaux mine la crédibilité de l’État. Un droit reste et demeure un droit, et non un cadeau, rappellent-ils avec une amertume palpable. Cette situation met en lumière une crise systémique qui frappe de nombreuses administrations publiques, où les agents fonctionnaires vivent dans l’incertitude permanente du lendemain.
Mais au-delà des chiffres et des mois d’attente, c’est la dignité foulée au pied qui révolte le plus. Les manifestants ont dénoncé avec véhémence les mauvais traitements infligés aux députés provinciaux lors de précédentes actions. « Des députés sont tabassés, fouettés et foulés au pied, traînés comme des Kuluna (bandits) », témoignent-ils, dépeignant une image insupportable de la répression. Cette violence, physique et symbolique, transforme les lieux de démocratie en « poubelles », selon leurs propres termes. Comment peut-on exiger la stabilité des institutions lorsque celles qui les incarnent sont humiliées et privées de leurs moyens de subsistance ? Cette grève à l’Assemblée provinciale n’est donc pas qu’une question de paie ; c’est un combat pour la reconnaissance et le respect.
L’onde de choc de cette mobilisation ne s’est pas limitée au Kwilu. En début de semaine, une scène similaire s’est produite dans la province voisine du Maï-Ndombe, où les agents ont également observé un arrêt de travail pour exiger le paiement de leurs salaires impayés. Cette convergence des luttes révèle un malaise national. Plus significatif encore, un collectif de députés provinciaux de 26 provinces de la RDC a tenté un sit-in mardi devant le cabinet du Vice-Premier ministre, ministre des Finances. Ils ont été bloqués par la police, subissant, selon le député David Bisaka du Maï-Ndombe, « humiliation et bousculade ». Leur appel à l’intervention du Chef de l’État reste suspendu dans l’attente d’une réponse concrète. Cette simultanéité des actions démontre une coordination et une détermination sans précédent parmi les élus locaux et les fonctionnaires.
Quels sont les enjeux sous-jacents de cette crise ? D’abord, la question fondamentale des droits des travailleurs au Congo, qui sont quotidiennement mis à mal dans le secteur public. Ensuite, la crédibilité même de la décentralisation. Comment les Assemblées provinciales peuvent-elles légiférer et contrôler l’action gouvernementale si elles sont financièrement asphyxiées et si leur personnel est en lutte ouverte ? Enfin, il y a un enjeu de paix sociale. La colère qui gronde à Bandundu et à Inongo pourrait bien se propager, transformant le mécontentement légitime en un mouvement plus large de défiance envers l’État.
La présence des rameaux, symbole traditionnel de deuil mais aussi de supplication et d’appel à la justice, est lourde de sens. Elle traduit un deuil de la confiance et un ultime recours devant l’inaction. Les arriérés de salaire ne sont pas qu’une dette financière ; ils sont la mesure du mépris dans lequel sont tenus ceux qui font tourner la machine administrative. Alors que la RDC affiche des ambitions de développement et de réforme, elle ne pourra les concrétiser sans garantir la dignité de ses serviteurs. La grève du Kwilu est un signal d’alarme criant. L’État parviendra-t-il à l’entendre avant que la grogne ne se transforme en un véritable séisme institutionnel ? L’avenir de la gouvernance locale et la stabilité de nombreuses provinces en dépendent.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
