Imaginez-vous, un matin comme les autres à Kinshasa. Vous ouvrez votre téléphone et découvrez vos photos intimes diffusées sur des groupes WhatsApp sans votre consentement. Les commentaires déferlent, les messages menaçants s’accumulent. Cette réalité brutale, des milliers de Congolaises la vivent chaque jour, piégées dans un labyrinthe numérique où l’humiliation devient virale. Alors que s’achevait la campagne internationale des 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre, un constat s’impose avec force en République Démocratique du Congo : les violences en ligne constituent désormais une nouvelle frontière, insidieuse et dévastatrice, de la lutte pour les droits des femmes.
Harcèlement sur les réseaux sociaux, menaces en messages privés, diffusion non consentie d’images ou de vidéos… Ces attaques numériques laissent des traces profondes. « Elles fragilisent, exposent et réduisent au silence », rappelle ONU Femmes, particulièrement les journalistes, militantes et créatrices de contenu. Mais face à ce fléau, les victimes congolaises ne sont plus totalement démunies. La question qui brûle les lèvres de tant de femmes est pourtant simple : quelles sont les voies de recours lorsqu’on subit ces violences en ligne RDC ?
Le cadre juridique existe bel et bien. « L’infraction reste la même ; celle prévue et punie par les lois de la République », affirme l’avocate Fidèle Kanyinda, du barreau de Kinshasa/Matete. Le Code pénal traditionnel réprime déjà les injures publiques, la diffamation, les menaces ou la publication d’images obscènes. La véritable avancée réside dans le Code numérique RDC, adopté pour répondre aux réalités technologiques. Ce texte crucial introduit des infractions spécifiques comme l’accès frauduleux aux systèmes, la diffusion illicite de données personnelles ou la cyber-intimidation.
Cependant, la route vers la justice reste semée d’embûches. La première étape, et peut-être la plus cruciale, est la collecte des preuves. « Si quelqu’un vous insulte sur la toile, cela reste une injure publique. À vous de capturer et de prouver son caractère public », souligne Maître Kanyinda. Une capture d’écran constitue une preuve valable en droit congolais, où « les preuves sont libres ». Les victimes doivent donc méthodiquement archiver les messages, commentaires, identifiants, dates, et démontrer le caractère public de l’agression – qu’il s’agisse d’une publication sur une page suivie par des milliers de personnes, d’insultes dans un groupe WhatsApp ou de diffusions sur Facebook, TikTok ou X.
Une fois cette preuve numérique sécurisée, le parcours juridique peut s’engager. La victime doit déposer plainte auprès du parquet ou de la police judiciaire spécialisée en criminalité numérique. Un accompagnement par un avocat ou une organisation spécialisée dans les droits des femmes RDC est fortement recommandé. Maître Blaise Baise, également avocat à Kinshasa/Matete, précise un aspect fondamental : « Lorsque l’infraction numérique n’est pas explicitement prévue dans le Code pénal ordinaire, les magistrats peuvent utiliser les dispositions du Code du numérique pour qualifier plus précisément les faits, car ce code est déjà en vigueur. La victime pourra demander réparation devant la juridiction saisie. »
Ce renforcement du cadre légal ouvre donc des recours juridiques violences genre concrets. Mais le défi majeur n’est pas seulement légal ; il est aussi sociétal et culturel. La stigmatisation, la peur du jugement et la méconnaissance des procédures continuent de faire taire de nombreuses victimes. Les violences en ligne ne sont pas des agressions virtuelles sans conséquences. Elles sont bien réelles, avec des impacts psychologiques profonds, une atteinte à la dignité et une restriction de la liberté d’expression, particulièrement pour les femmes qui osent prendre la parole dans l’espace public, numérique ou physique.
La clôture des 16 jours d’activisme ne doit pas signifier la fin de la vigilance. Le combat contre le cyber-harcèlement Congo est un marathon, pas un sprint. Il exige une synergie entre les avancées législatives, le renforcement des capacités des forces de l’ordre, la sensibilisation massive du public et un soutien psychosocial accru pour les survivantes. Le silence est brisé, les outils juridiques existent. Reste maintenant à les faire connaître, à les rendre accessibles et à créer un environnement où chaque femme congolaise pourra naviguer dans le monde numérique sans craindre pour sa sécurité ou son honneur. L’enjeu n’est rien de moins que la préservation de l’espace démocratique et de la participation pleine et entière des femmes à la vie de la nation.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
