Dans le cadre solennel du Palais du Peuple à Kinshasa, la Journée internationale des droits de l’homme, célébrée ce 10 décembre, a servi de tribune à un discours dont la portée dépasse largement le simple rituel commémoratif. Le ministre des Droits humains, Samuel Mbemba, y a lancé un appel à la mobilisation citoyenne, plaçant la protection des droits humains et la reconnaissance des génocides congolais au cœur d’un combat présenté comme collectif. Cette requête, formulée en présence de la ministre du Genre, Famille et Enfant et devant une assemblée composite, interroge sur la répartition des rôles dans la quête de justice. Si le ministre affirme que cette cause « n’est pas seulement l’affaire des gouvernants mais également des gouvernés », cette déclaration sonne-t-elle comme un partage de responsabilité ou comme un aveu implicite des limites du pouvoir exécutif face à l’ampleur de la tâche ?
La thématique nationale choisie pour cette édition, « Reconnaissance des génocides congolais, acte de justice pour les victimes », a donné le ton à des interventions qui ont rapidement dépassé le cadre consensuel pour pointer du doigt des manquements criants. Samuel Mbemba a insisté sur la justice transitionnelle, la décrivant comme l’outil indispensable de réparation, de vérité et de réconciliation pour les victimes des conflits armés qui ensanglantent le pays, particulièrement à l’Est. Ce plaidoyer institutionnel a cependant trouvé un écho plus véhément dans la parole de la société civile. Jonas Tshiombe, président de la Nouvelle Société Civile Congolaise (NSCC), a dénoncé avec force « l’indifférence de la communauté internationale » face à la tragédie qui se déroule en République Démocratique du Congo. Son plaidoyer pour la création d’un tribunal international pour la RDC dessine les contours d’une attente populaire qui dépasse les mécanismes nationaux, perçus comme insuffisants ou entravés.
Cette dualité entre appels à l’action interne et requêtes adressées à la scène mondiale résume tout le paradoxe de la situation congolaise. D’un côté, le gouvernement, par la voix de Samuel Mbemba, en appelle à une prise en main citoyenne du dossier des droits humains. De l’autre, la société civile et certaines institutions pointent la nécessité d’une justice supra-étatique pour juger des crimes d’une telle magnitude. Le directeur du Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme (BCNUDH) a, quant à lui, rappelé que le courage devait s’accompagner d’unité. Cette injonction résonne comme un constat des divisions qui fragilisent souvent la réponse nationale aux crises. Le directeur de la Commission nationale des droits de l’homme a pour sa part transformé la célébration en interpellation directe, liant explicitement la commémoration du 10 décembre à l’impératif de reconnaissance du génocide congolais.
Dans un contexte marqué par la guerre d’agression à l’Est et des violations répétées des droits fondamentaux, ces discours soulèvent une question fondamentale : celle de la traduction des mots en actes. La justice transitionnelle évoquée par le ministre Samuel Mbemba reste-t-elle un concept abstrait ou sera-t-elle dotée des moyens législatifs, financiers et politiques pour se concrétiser ? La demande d’un tribunal international spécifique pour la RDC, bien que compréhensible au regard de l’histoire récente du pays, rencontre-t-elle un écho favorable dans les arènes diplomatiques, souvent frileuses face à de tels engagements ? L’appel à l’unité et au courage des Congolais peut-il suffire à pallier les défaillances structurelles et la complexité géopolitique des conflits ?
L’événement de Kinshasa aura donc servi de révélateur. Il a mis en lumière la maturation d’un discours officiel qui ose désormais nommer le génocide et en appeler à une justice ambitieuse. Toutefois, entre les déclarations prononcées à la tribune et la réalité du terrain, le fossé semble abyssal. La crédibilité de cet engagement passera nécessairement par des actes concrets : l’accélération des réformes judiciaires, le renforcement sans équivoque des institutions de protection des droits, et une diplomatie plus offensive pour internationaliser la quête de justice. Le ministre Samuel Mbemba et le gouvernement congolais jouent gros sur ce dossier. L’échec à transformer ces promesses en réalisations tangibles risquerait non seulement de discréditer le discours officiel mais aussi d’alimenter un peu plus le cynisme d’une population éprouvée, pour qui la Journée internationale des droits de l’homme doit devenir bien plus qu’un simple paravent commémoratif.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
