Dans un contexte où la décentralisation est censée rapprocher le pouvoir des citoyens, une lettre adressée à l’Inspecteur Général des Finances vient jeter une lumière crue sur les dérives qui menacent ce processus. La Ligue Congolaise de Lutte contre la Corruption (LICOCO) a déposé une accusation lourde de conséquences contre la gestion financière du Kongo Central, pointant du doigt des pratiques de gouvernance qui, si elles étaient avérées, constitueraient une trahison de la confiance publique. Cette dénonciation, copiée aux plus hautes sphères de l’État, ouvre-t-elle la voie à un sérieux contrôle ou restera-t-elle lettre morte dans l’archipel des scandales financiers ?
Au cœur de l’affaire, un emprunt provincial de 20 millions de dollars, levé avec une légèreté administrative déconcertante, sert de financement à des contrats aux allures de montages opaques. La LICOCO, dans sa missive datée du 5 décembre, détaille avec une précision chirurgicale les irrégularités entachant deux marchés publics cumulant près de 13 millions de dollars. Le premier, pour l’acquisition d’engins de travaux publics, illustre un schéma classique de favoritisme et de conflit d’intérêts. Attribué à la société Manews Sarlu, apparentée à l’entourage du gouverneur, ce marché révèle une absence criante de qualifications et une présomption de surfacturation de près de 50%. La LICOCO n’y va pas par quatre chemins : « Quel que soit le niveau d’exécution financière, la moitié des sommes engagées apparaît comme présumée détournée. » Une telle affirmation, si elle est validée par une enquête, dessine les contours d’un détournement de fonds publics à grande échelle, directement prélevé sur le budget d’une province déjà confrontée à d’immenses défis sociaux.
Le second volet de ce qui ressemble à un système tout aussi préoccupant concerne la construction du futur siège de l’Assemblée provinciale à Matadi. Ici, c’est la méthode d’attribution par entente directe, sans aucune publicité, qui alerte. Pour un bâtiment d’architecture somme toute modeste, le montant alloué – 6,5 millions de dollars – semble gonflé au-delà de toute raison. L’ONG parle d’« arrangements illicites » et d’une « probable surfacturation », nourrissant ainsi le soupçon d’une collusion entre décideurs publics et opérateurs économiques. Ces allégations de marchés publics frauduleux ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd ; elles mettent à nu les vulnérabilités d’une gouvernance province Kongo Central qui semble avoir dévié de son cap.
Mais le scandale ne réside pas seulement dans l’exécution suspecte des contrats. Il prend racine dans le processus même de création de la dette. L’emprunt de 20 millions a été autorisé par l’Assemblée provinciale sur la base d’une simple lettre du gouverneur, un document dépourvu des moindres détails sur l’affectation des fonds, les priorités d’investissement ou la capacité de remboursement. Cette approche légère, déjà dénoncée en amont par la LICOCO, a créé un terreau fertile pour les dérives. L’organisation, citant l’économiste Joseph Stiglitz, rappelle que la corruption est un « cancer qui ronge la démocratie ». Au Kongo Central, ce cancer semble s’être niché au cœur du processus décisionnel, exploitant les failles d’une décentralisation mal sécurisée.
La dénonciation LICOCO place maintenant les plus hautes autorités devant leurs responsabilités. En copiant sa lettre au Président de la République et à la Première ministre, l’ONG orchestre une pression institutionnelle maximale. L’Inspection Générale des Finances se trouve ainsi sous les projecteurs, sommée de mener une enquête approfondie et impartiale. L’enjeu dépasse le simple recadrage financier ; il touche à la crédibilité même de l’État de droit dans les provinces. La réponse – ou l’absence de réponse – du gouvernorat du Kongo Central est, en elle-même, un indicateur révélateur de la culture de reddition des comptes qui y prévaut.
En définitive, cette affaire sonne comme un avertissement sévère pour la décentralisation en RDC. Elle pose une question fondamentale : le transfert de compétences et de ressources vers les provinces est-il synonyme d’autonomie responsable ou d’impunité décomplexée ? Les pratiques dénoncées, si elles persistent, risquent de saper durablement la confiance des citoyens et de décrédibiliser un projet politique essentiel. Le président Tshisekedi et son gouvernement jouent gros sur ce dossier. Une enquête transparente et des sanctions exemplaires seraient un signal fort en faveur de la bonne gouvernance. À l’inverse, un enfouissement de l’affaire confirmerait les pires craintes sur l’ancrage d’une corruption Kongo Central systémique, capable de résister même aux alertes les plus documentées. L’avenir de la décentralisation en RDC se joue peut-être dans la manière dont Matadi et Kinshasa répondront à cet épineux dossier.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
