Dans la chaleur humide de Kinshasa, au cœur de l’immeuble Horizon, un silence studieux règne, ponctué par le cliquetis des claviers. Des visages concentrés, majoritairement féminins, scrutent des écrans. Ici, on n’apprend pas à coder, mais à se battre. À se défendre. À exister. « Avant, je pensais que bloquer un contact suffisait face aux insultes sur Facebook », confie une participante, sous le couvert de l’anonymat, les doigts tremblants en évoquant la violence subie. « Maintenant, je sais que je peux documenter, signaler, et surtout, ne plus avoir peur. » Cette scène est le cœur battant d’une session de formation en féminisme numérique organisée du 3 au 5 décembre par le mouvement Bisobasi Telema, avec l’appui crucial du Goethe-Institut et du ministère fédéral allemand des Affaires étrangères.
Initiée dans le cadre des « 16 jours d’activisme » contre les violences faites aux femmes, cette rencontre a rassemblé plus de 25 jeunes femmes issues de la sphère politique, des ONG et de la société civile congolaise. L’objectif ? Les armer intellectuellement et techniquement pour transformer le web, souvent espace de harcèlement, en un levier puissant pour l’égalité et la justice sociale. Une réponse concrète et urgente au cyberharcèlement RDC, fléau qui silencieusement mine la participation publique des femmes. « Comment construire une démocratie si la moitié de la population a peur de s’exprimer en ligne ? », interroge Princilia Masengu Kayoka, porte-parole de Bisobasi Telema, le regard déterminé. Pour cette défenseure des droits humains, la formation féminisme numérique est un bouclier. Elle donne des outils pour contrer non seulement le cyberharcèlement, mais aussi la cyberviolence, la désinformation toxique et les discours de haine qui polluent les débats.
Le constat est sans appel : en République Démocratique du Congo, les femmes actives en ligne sont souvent la cible d’attaques coordonnées, visant à les discréditer, les intimider et les faire taire. Cette violence digitale n’est pas virtuelle ; elle a des répercussions bien réelles sur la santé mentale, la carrière et l’engagement citoyen des victimes. « L’espace numérique reproduit et amplifie les inégalités de notre société », analyse Elsie Lotendo, coordinatrice du mouvement. Son ambition ? Faire du digital un outil d’émancipation. Ainsi, Bisobasi Telema ne se contente pas de dénoncer ; il forme. Il outille. Il permet à ces femmes de connaître leurs droits des femmes Congo, de les défendre, et de déconstruire les stéréotypes sexistes qui les enserrent.
La formation a brillé par son approche résolument pratique. Loin des théories abstraites, les participantes ont plongé dans le concret. Ifrikia Kengué, consultante en communication, a démystifié le « personal branding ». « Quelle image projetez-vous sur LinkedIn ou Twitter ? Votre profil inspire-t-il confiance ou suscite-t-il des préjugés ? », a-t-elle lancé à l’assistance. Un atelier crucial dans un pays où la légitimité des femmes leaders est sans cesse remise en question. En parallèle, l’informaticien Trésor Kalongi a dispensé une leçon essentielle d’hygiène numérique. Création de mots de passe robustes, vigilance face aux liens piégés, mise à jour des systèmes… Autant de gestes barrières pour se protéger contre le piratage et la violation de la vie privée, premières étapes d’un activisme digital Kinshasa sécurisé et efficace.
À l’issue des trois jours, les participantes ont reçu leurs brevets, symboles d’un nouveau pouvoir acquis. Mais au-delà du parchemin, c’est une communauté de résistance qui se consolide. Ces femmes repartent avec un réseau, des compétences et une détermination renouvelée. La prochaine étape, comme l’a souligné Elsie Lotendo, sera de descendre dans les communautés et d’investir massivement les réseaux sociaux pour des campagnes de sensibilisation. Leur mission : assainir l’espace numérique congolais, le rendre sûr et inclusif, garantissant enfin une liberté d’expression réelle pour tous et toutes.
Cette initiative pose une question fondamentale pour l’avenir du pays : la RDC peut-elle se permettre de marginaliser le potentiel et la voix de ses femmes dans la révolution numérique en cours ? En formant ces actrices de changement, Bisobasi Telema et ses partenaires ne font pas qu’équiper des individus ; ils posent les fondations d’une société plus juste. Ils rappellent que la conquête de l’égalité passe aussi par la maîtrise des codes, des outils et des espaces du XXIe siècle. Dans un monde où le digital est devenu le nouvel agora, l’émancipation des femmes congolaises se jouera aussi, et peut-être surtout, en ligne.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
