Dans un discours solennel devant les deux chambres du Parlement réunies en congrès, le président Félix Tshisekedi a esquissé les contours d’un cadre juridique renforcé pour la liberté de la presse en République Démocratique du Congo. Cette annonce, qui intervient dans un contexte de fragilité médiatique, vise à concilier souveraineté narrative et garantie des libertés fondamentales. Mais derrière les principes affichés, la mise en œuvre de ce dispositif suscite des interrogations sur l’équilibre entre protection et contrôle.
Le chef de l’État a mis en avant l’élaboration d’une politique sectorielle de la communication et un avant-projet de lois destiné à protéger les médias contre les ingérences et la désinformation. Ces initiatives s’inscrivent dans la continuité de l’ordonnance-loi n° 23/009 du 13 mars 2023 relative à la liberté de la presse et de l’information. « La mise en œuvre effective de cette ordonnance, appuyée par des textes d’application concernant la création de médias et l’accréditation de professionnels étrangers, installe un cadre moderne, transparent et protecteur des libertés », a déclaré le président. Cette référence à un cadre juridique médias congolais actualisé témoigne d’une volonté affichée de moderniser le secteur.
Pourtant, l’effectivité de ces mesures légales reste un défi de taille. La liberté de la presse en RDC a souvent été entravée par des pratiques administratives opaques et des pressions économiques. Félix Tshisekedi lui-même a reconnu cette vulnérabilité en évoquant les mesures fiscales et parafiscales destinées à alléger les charges pesant sur les médias. « Un média économiquement asphyxié n’est peut-être véritablement libre », a-t-il asséné. Cette prise de conscience est louable, mais la concrétisation de ces allégements fiscaux dans un environnement économique contraint pose question. Les médias congolais, souvent précaires, attendent des actes plus que des paroles.
Au-delà de l’aspect économique, le président a souligné la collaboration du gouvernement avec le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication (CSAC), le Conseil National de Cybersécurité et l’Agence pour le Développement du Numérique. L’objectif avoué est de protéger l’espace informationnel contre les discours haineux, la manipulation et les campagnes menaçant la cohésion nationale. Cette orientation, qui relève de la politique communication Congo, soulève un dilemme classique : comment lutter contre les contenus nocifs sans verser dans la censure ? La recherche d’une souveraineté narrative, concept mis en avant par le chef de l’État, peut-elle servir de prétexte à un contrôle accru de l’information ?
L’analyse des implications politiques de ce cadre renforcé pour la liberté de la presse invite à la prudence. D’un côté, il pourrait offrir aux médias congolais une meilleure protection juridique et économique, essentielle pour leur indépendance. De l’autre, la centralisation des mécanismes de régulation et l’accent mis sur la sécurité narrative pourraient instrumentalisier le secteur au service d’intérêts politiques. Le président Tshisekedi joue gros avec cette réforme : son succès renforcerait sa crédibilité en matière de démocratie, tandis qu’un échec ou un détournement autoritaire fragiliserait durablement la confiance des acteurs médiatiques.
Les prochains mois seront déterminants pour évaluer la traduction concrète de ces annonces. L’adoption des textes d’application de l’ordonnance loi liberté presse, la mise en place effective des allègements fiscaux et le fonctionnement des instances de régulation sous l’égide du CSAC seront scrutés à la loupe. La communauté des journalistes et des éditeurs, tout en accueillant favorablement l’intention de modernisation, restera vigilante sur les dérives potentielles. En définitive, la liberté de la presse en RDC se joue moins dans les discours que dans la pratique quotidienne du métier, entre contraintes économiques et pressions politiques.
Le chemin vers un paysage médiatique libre et prospère est semé d’embûches. Si le cadre présenté par Félix Tshisekedi ouvre une porte, son franchissement exigera une volonté politique constante et un dialogue authentique avec les professionnels du secteur. L’enjeu dépasse la simple technique juridique : il touche au cœur de la démocratie congolaise et à sa capacité à garantir un débat public pluraliste et éclairé.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Eventsrdc
