Le débat sur l’électricité a pris une tournure singulière au Sénat ce mercredi, exposant les paradoxes criants d’une nation assise sur un potentiel énergétique continental mais incapable d’éclairer ses propres foyers. L’interpellation du ministre des Ressources hydrauliques, Molendo Sakombi, initiée par le sénateur Janvier Mwisha, a servi de catalyseur à une critique acerbe de la gestion de la SNEL, cette entreprise publique dont les faillites chroniques symbolisent un échec de politique publique plus large. L’intervention de la sénatrice Nefertiti Ngudianza Bayokisa Kisula, rapporteur du Bureau de la chambre haute, a particulièrement marqué les esprits, dressant un tableau sans concession d’une crise électricité qui mine le développement et la sécurité des citoyens.
Le constat est accablant. La sénatrice Ngudianza a pointé du doigt le faible taux d’accès national, la vétusté des infrastructures et le manque criant d’entretien. « Notre pays connaît un problème sérieux », a-t-elle martelé, décrivant une « véritable descente aux enfers » plongeant la population dans le désarroi. Mais c’est en évoquant la situation de sa propre circonscription que le paradoxe atteint son paroxysme. Comment expliquer, en effet, que le Kongo Central, berceau du mythique complexe hydroélectrique d’Inga, soit lui-même plongé dans l’obscurité ? Cette province, qui devrait logiquement jouir d’un accès privilégié à l’énergie, voit ses villages « regarder passer les lignes haute tension sans en être desservis ». Des territoires comme Luozi ou Kimvula, a-t-elle dénoncé, n’ont même jamais vu « un seul câble ni un seul poteau de la SNEL ». Le symbole est puissant : l’échec à valoriser Inga pour les populations locales illustre l’incapacité à transformer la richesse potentielle en bien-être concret.
Les conséquences de cette pénurie énergétique dépassent largement le simple inconfort. La sénatrice a établi un lien direct et troublant entre les coupures et la montée de l’insécurité. La ville portuaire de Matadi, vitale pour l’économie nationale, vivrait ainsi dans une « insécurité quasi permanente » à cause du noir qui favorise les activités criminelles. Pire, l’obscurité transforme des axes stratégiques en coupe-gorge. La Route Nationale 1, qualifiée de « trou noir », est devenue le théâtre d’accidents mortels et de braquages. « Pourquoi cette route reste-t-elle un trou noir ? », a interrogé avec force la sénatrice, adressant une question aussi technique que politique au ministre. Qu’est-ce qui manque ? Des ressources ? Une volonté politique ? Une planification cohérente ? Cette simple question résume l’impasse dans laquelle se trouve le secteur.
Face à cet échec de la gestion étatique, l’appel à une réorientation stratégique s’est imposé. Reconnaissant les limites des finances publiques, Nefertiti Ngudianza a pressé le gouvernement d’adopter des « politiques attractives » pour séduire les investisseurs privés. Cet appel révèle une prise de conscience : l’État seul ne peut plus être le seul architecte du secteur électrique. Mais cette ouverture soulève d’autres questions. Le gouvernement est-il prêt à créer un cadre juridique et réglementaire suffisamment clair et sécurisant pour attirer des capitaux privés sérieux ? La SNEL, souvent perçue comme un monopole inefficace, acceptera-t-elle une concurrence ou des partenariats public-privé qui remettraient en cause ses prérogatives ? Le débat Sénat a ainsi ouvert une boîte de Pandore, révélant que la crise n’est pas seulement technique ou financière, mais profondément politique et institutionnelle.
L’intervention du ministre Sakombi, attendue en réponse à ces interrogations, sera donc scrutée à la loupe. Pourra-t-il présenter un plan crédible de réhabilitation des ressources hydrauliques existantes et de développement de nouvelles capacités ? Surtout, sa réponse donnera-t-elle des gages concrets sur la volonté politique de sortir de l’immobilisme ? Le Kongo Central, et avec lui toute la RDC, attendent plus que des promesses. Ils attendent des actes qui feront enfin de l’électricité, cette denrée si rare, un droit accessible et non plus un privilège. L’enjeu dépasse l’éclairage des rues ; il touche à la crédibilité même de l’État à assurer un service public fondamental et à créer les conditions d’un développement économique inclusif. Le gouvernement joue gros sur ce dossier, car son incapacité à répondre à cette urgence nationale pourrait durablement miner sa légitimité aux yeux d’une population exaspérée par des décennies de black-out.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
