Alors que la classe politique congolaise semblait absorbée par les urgences sécuritaires et économiques, la question constitutionnelle ressurgit avec la force d’un boomerang. L’initiative de l’ancien président de l’Assemblée nationale, Olivier Kamitatu, de remettre à l’ordre du jour le débat sur la forme de l’État en RDC – unitaire versus fédéral – a provoqué un tollé immédiat. En face, le Courant des démocrates rénovateurs (CDER) a réagi avec une fermeté rare, dénonçant une manœuvre « malvenue et dangereuse » dans un communiqué du 1er décembre 2025. Ce front du refus illustre la profonde sensibilité d’un sujet qui touche à la colonne vertébrale de la nation, et la réaction du CDER en dit long sur les fractures latentes que toute discussion institutionnelle risquerait de réveiller.
Le timing de cette relance est, en effet, plus que suspect pour ses détracteurs. Le CDER le souligne avec force : le pays traverse une période de « grande fragilité nationale ». À l’Est, la menace de balkanisation plane toujours, tandis que le spectre des tensions identitaires hante plusieurs provinces. Dans ce contexte, ouvrir la boîte de Pandore du fédéralisme en Congo reviendrait, selon le mouvement, à jouer avec le feu. L’argument de l’unité nationale, sacro-saint, est brandi comme un rempart contre ce qui est perçu comme une aventure institutionnelle. La question qui se pose est claire : la classe politique a-t-elle les moyens de ses ambitions théoriques lorsque l’État peine encore à assurer la sécurité de base et l’autorité de sa loi sur l’ensemble du territoire ?
L’analyse du CDER ne se limite pas à une simple dénonciation opportuniste. Elle s’appuie sur un constat d’échec : celui de la décentralisation. Le parti estime que cette réforme, pourtant fondatrice de la Constitution de 2006, a été partiellement détournée de son objectif. Instrumentalisée à des fins clientélistes et souvent réduite à des calculs ethnorégionaux, elle n’a pas rempli sa promesse de rapprocher l’administration du citoyen. Dès lors, comment envisager sereinement un saut vers le fédéralisme, modèle autrement plus exigeant en termes de maturité politique et de consensus national ? Pour le CDER, la réponse est sans appel : une telle transition « fragiliserait davantage la cohésion nationale ». Le précédent de la décentralisation sert ainsi de mise en garde : une réforme mal maîtrisée peut se muer en machine à diviser.
La virulence du vocabulaire employé par le mouvement politique est révélatrice des enjeux sous-jacents. Parler de « crime historique et moral » pour qualifier la promotion du fédéralisme n’est pas anodin. Cette accusation grave sous-entend que les partisans d’une redéfinition de la forme de l’État en République démocratique du Congo franchiraient une ligne rouge, au point de « jouer le jeu des ennemis de la République ». Cette rhétorique, qui assimile le débat d’idées à une forme de trahison, témoigne de la radicalisation des positions dans une crise politique RDC latente. Elle place d’emblée les défenseurs du fédéralisme dans une posture défensive, les accusant de sacrifier l’intérêt supérieur de la nation sur l’autel d’ambitions personnelles ou régionales. Est-ce là une stratégie pour étouffer dans l’œuf toute discussion, ou le signe d’une inquiétude authentique face aux risques de dislocation ?
Face à ce qu’il considère comme une diversion périlleuse, le CDER appelle à un recentrage des priorités. Le communiqué insiste sur l’impératif de renforcer la sécurité, de consolider l’unité par des actions concrètes et d’améliorer le bien-être des citoyens. En somme, il prône une approche pragmatique et curative des maux du pays, par opposition à une refonte structurelle perçue comme spéculative et potentiellement destructrice. Cet appel à la « responsabilité » de la classe politique est un classique du discours républicain en temps de crise. Mais n’est-il pas aussi une manière élégante de défendre le statu quo institutionnel, qui arrange certaines forces en présence ? La frontière entre prudence patriotique et immobilisme conservateur est souvent ténue.
La suite de cette polémique dessinera les contours des prochains combats politiques. Le débat sur la forme de l’État, une fois relancé, sera-t-il étouffé sous le poids des urgences et des oppositions frontales, ou au contraire, deviendra-t-il un marqueur clivant des futures échéances électorales ? L’intervention musclée du CDER, marquant une opposition ferme au fédéralisme, a le mérite de poser une ligne rouge. Elle force également les autres acteurs à se positionner, révélant ainsi les fractures et les alliances au sein du paysage politique congolais. Dans une nation encore en quête de stabilité, la question ultime reste : l’unité se construit-elle par le silence forcé autour des divergences structurelles, ou par leur discussion apaisée ? Pour l’heure, le CDER a choisi son camp, brandissant l’impératif de survie nationale contre ce qu’il perçoit comme un dangereux vertige théorique.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
