Le visage creusé par les kilomètres de route, un leader communautaire venu du territoire d’Ingende pose une question qui résonne dans la salle de conférence de Mbandaka : « Nos forêts nous font vivre et protègent le monde entier. Mais quand est-ce que cette protection se traduira par une vie meilleure pour nos enfants ? » Cette interrogation, lancée lors de la quatrième table ronde multi-acteurs sur la mise en œuvre de la réforme du plan d’aménagement du territoire en RDC, résume tout l’enjeu d’une gouvernance foncière durable. Comment, en effet, concilier la préservation d’un patrimoine écologique mondial avec le développement urgent des communautés qui l’habitent ?
Samedi 29 novembre, Mbandaka, vibrante capitale de la province de l’Équateur, est devenue l’épicentre d’un dialogue crucial. Autorités provinciales et locales, représentants d’ONG, chefs coutumiers et partenaires techniques se sont rassemblés, non pour de simples discours, mais pour esquisser les chemins d’une réforme territoriale effective. Cette table ronde, organisée par le GASHE avec l’appui de l’IRI-RDC et le financement de la Rainforest Foundation de Norvège, a démontré une volonté claire : passer des textes de loi à l’action concrète sur le terrain.
Au cœur des débats, la nouvelle loi relative à l’aménagement du territoire, récemment adoptée, a été scrutée, décortiquée. Les participants, venus des provinces de la Tshopo, du Kasaï, du Maniema et bien sûr de l’Équateur, ont partagé un constat : l’adoption n’est qu’une première étape. La bataille se gagnera sur le terrain de la vulgarisation, de l’appropriation par les populations et de la pérennisation des mécanismes. « Une planification qui n’est pas inclusive est une planification vouée à l’échec », a-t-on pu entendre à plusieurs reprises, soulignant la nécessité d’associer pleinement les communautés riveraines des forêts à chaque décision.
L’intervention du gouverneur de l’Équateur, Boloko Bolumbu Bobo, a donné le ton et fixé les priorités. Sans détour, il a rappelé le rôle écologique majeur de sa province, abritant d’immenses massifs forestiers qui constituent un rempart essentiel dans la lutte contre le changement climatique. Mais ce rôle de « poumon du monde » ne doit pas être un fardeau. Le gouverneur a lancé un appel pressant aux partenaires et bailleurs de fonds : accompagner financièrement et techniquement l’élaboration des plans provinciaux et locaux d’aménagement, ainsi que des plans simples de gestion des forêts. Car sans moyens, le meilleur des plans d’aménagement du territoire reste une coquille vide.
Des lueurs d’espoir percent cependant ce tableau souvent sombre. La table ronde de Mbandaka a mis en avant des exemples concrets qui prouvent que l’action est possible. Dans les territoires d’Ingende et de Lukolela, les plans simples de gestion sont déjà une réalité opérationnelle dans les secteurs de Bokatola et Lusanganya. Ces initiatives locales, nées d’une collaboration entre autorités, populations et organisations de la société civile, sont des modèles à dupliquer. Elles montrent que lorsque les communautés sont placées au centre du processus, la gestion des ressources naturelles devient à la fois plus efficace et plus juste.
Mais derrière ces avancées se cachent des défis de taille. La pression foncière, l’exploitation illégale des ressources, les conflits d’usage entre agriculture, foresterie et conservation… Autant de bombes à retardement que seule une planification territoriale robuste et équitable peut désamorcer. La réforme en cours est-elle à la hauteur de ces enjeux colossaux ? La diversité des participants à cette table ronde, représentant plusieurs provinces, est un signal fort. Elle indique que la prise de conscience est nationale et que la volonté de construire une gouvernance foncière durable dépasse les clivages régionaux.
La route sera longue entre les discussions à Mbandaka et l’amélioration tangible des conditions de vie des populations forestières. Les mots-clés de cette réforme – participation, inclusion, durabilité – doivent maintenant s’incarner dans des budgets, des décrets d’application et des actions quotidiennes sur le terrain. La table ronde a posé les bases d’un dialogue essentiel. Le véritable travail commence maintenant : transformer ce dialogue en projets concrets, en forêts préservées et en communautés prospères. L’avenir de l’Équateur, et au-delà de toute la RDC, se joue aussi dans cette capacité à aménager son territoire avec sagesse et équité.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
